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Concert du centenaire de l’Opéra de Marseille – A la mesure de l’événement – Compte rendu

 
 

Tel le phénix, le 3 décembre 1924, après cinq ans de travaux, l’Opéra de Marseille renaissait de ses cendres. Cent ans plus tard, jour pour jour, il fallait bien un événement hors normes pour marquer l’anniversaire. Ce fut un concert XXL au grandiose programme franco-italien mâtiné d’allemand.
 
De l’émotion de la Traviata à celle de Sancho, de la douleur de Rigoletto à l’exaltation de Roméo, des imprécations de Phanuel au chant de paix de Norma, de la délicatesse du Prélude de l’acte I de Lohengrin à la clameur triomphante des trompettes d’Aida : pour fêter ses cent ans, l’opéra de Marseille avait convoqué toutes les vibrations de ces moments musicaux frémissants à tout jamais entre les monumentales colonnes de marbre art déco qui encadrent la scène.
 

Michele Spotti © Ville de Marseille
 
Les airs tirés d’œuvres de Verdi, Bellini, Rossini pour le côté italien, Gounod et Massenet pour le made in France et Wagner, composaient un généreux programme. L’ouverture de La Force du destin permettait d’entrée de jeu à l’orchestre de sonner idéalement, comme il en a désormais la bonne habitude, sous la direction sensible et toujours exacte de son directeur musical Michele Spotti (photo) qui, selon Lawrence Foster, son prédécesseur à Marseille, « est l’un des cinq meilleurs chefs du moment. » Le compliment est à apprécier.
 
Autre phalange maison, le chœur, qui travaille sous la direction de Florent Mayet, s’est aussi montré à son avantage, puissant, précis et excellent dans les nuances, le programme lui permettant de faire entendre distinctement les pupitres féminins et masculins, notamment dans « Gloria all’Egitto », la célèbre marche empruntée à Aida.
 

(de g. à dr. ) Csillia Boross, Patrizia Ciofi, Karine Deshayes © Ville de Marseille
 
Quant aux solistes réunis pour la circonstance, toutes et tous ont marqué l’histoire de l’Opéra phocéen ces dernières années avec leurs interprétations. A commencer par Patrizia Ciofi qui, pour la circonstance, retrouvait ses deux rôles fétiches et verdiens, Gilda pour « Caro nome » et la Traviata pour « E tardi ! Addio del passato » ; l’occasion pour Patrizia Ciofi de faire… du Patrizia Ciofi, débordante d’humanité et de sensibilité, tirant les frissons, la voix sensuelle et précise, l’aigu aiguisé, le vibrato bienvenu. Pluie de bravi à chacun des saluts.
Engagement vocal sensible, aussi, chez Csilia Boross, tour à tour Aida « Ritorna Vincitor ! » et Leonora « Pace, pace mio dio! » ainsi que chez Karine Deshayes, Norma ici même à l’ouverture de la saison il y a quelques semaines, qui gratifiait son public d’un « Casta Diva », une fois de plus donné dans la délicatesse, puis de la cavatine « Plus grand, dans son obscurité » de la Reine de Saba.
 
 

(de g. à dr.) Marc Barrard, Nicolas Courjal, Enea Scala, Juan Jesús Rodríguez © Ville de Marseille 

Après avoir donné une leçon de chant rossinien avec « A un dottor della mia sorte » du Barbier de Séville, Marc Barrard tirait à nouveau les larmes, comme il y a quelques mois en représentation sur cette scène, avec le « Riez, riez, allez, riez du pauvre idéologue », la plainte, terrible, de Sancho livrée avec puissance et sentiment. Nicolas Courjal était lui aussi de la fête du centenaire, voix sombre et puissante, à l’aise aussi bien dans le rôle de Fiesco « A te l’estremo addio… Il lacerato spirito » du prologue de Simon Boccanegra que dans celui de Phanuel « Dors, ô cité perverse ».
De la puissance et de l’émotion, Juan Jesús Rodríguez n’en manquait pas au moment de lancer le « Cortigiani, vil razza dannata » de Rigoletto, puis l’air du Comte de Luna « Il balen del suo sorriso… Qual Suono ! » avec passion. Quant à Enea Scala il faisait valoir la rectitude de son chant, son aisance dans les aigus et une projection hors-pair pour l’aria de Rodolfo de Luisa Miller « Quando le sere al placido » et pour « L’amour… Ah lève-toi soleil ! » du Roméo et Juliette de Massenet.
Pour terminer ces (presque) trois heures de concert, le tutti n’était autre que le final du Guillaume Tell de Rossini, « Tout change et grandit en ces lieux… Liberté, liberté redescends des cieux ! » Prémonitoire pour les cent prochaines années ? Qui vivra verra…
 
Michel Egéa
 

> Les prochains opéras à Marseille <

Marseille, Opéra de Marseille, 3 décembre 2024.
 
 
Photo © Anthony Carayol - Ville de Marseille

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