Journal
Concerts des Talents Adami Classique (lauréats 2023) au Bal Blomet – Pépites d’avenir – Compte-rendu
L’affaire est réglée comme du papier à musique : depuis presque trois décennies, l’Adami sélectionne tous les ans huit jeunes interprètes (quatre instrumentistes et quatre chanteurs) et leur offre une appréciable mise en lumière au moyen de divers outils de promotion et concerts. Rituel, le rendez-vous parisien de début d’année permet de présenter les lauréats de l’année précédente. Le « cru » 2023 que l’on a déccouvert au Bal Blomet il y a peu, lors d’une soirée présentée avec rythme et fluidité par Tristan Labouret, marquait aussi un tournant. Après de longues années passées au service des Talents Adami Classique – avec une curiosité, une énergie et une générosité rares – le moment est venu pour Sonia Nigoghossian de passer le relai à Anne-Sophie Duprels, référente artistique à compter de l’année en cours.
Un au revoir ému à Sonia Nighogossian © Thomas Bartel - Adami
Déjà remarqué pour son magnifique disque Ravel/Schumann (Scala Music), Tom Carré ouvre la soirée avec l’Intermezzo op. 119 n° 2. Un Brahms ultime que le pianiste sert avec la richesse de timbre et la densité poétique requises. Un seul regret : le goût de trop peu de cette intervention en soliste. Heureusement, Tom Carré se charge-t-il aussi d’accompagner avec beaucoup de complicité ses collègues instrumentistes (Josquin Otal, lauréat 2015 des Talents Adami, le faisant quant à lui, et fort bien, pour les chanteurs). Deux pièces de caractère, Souvenir d’un lieu cher de Tchaïkovski et la Sérénade espagnole de Chaminade (arr. Kreisler), mettent en valeur la sonorité lumineuse et le propos plein de chic de Sarah Jégou-Sageman, jeune violoniste encore élève de la Kronberg Academy. Côté vent, la clarinette est à l’honneur cette année par l’intermédiaire d’Anaïde Apélian. Présentement élève de Romain Guyot à Genève, elle fait honneur à la réputation des souffleurs français dans une interprétation pleine de fruit et d’élan des deuxième et troisième mouvements de la Sonate de Poulenc. Une saveur qui ne fait pas défaut non plus au 2e mouvement du rare Trio avec clarinette d’Aram Katchaturian, page où la signature de l’Arménien se lit immédiatement.
Quatrième instrumentiste de la « promo » 2023, Léo Ispir (photo) a travaillé avec Jérome Pernoo et Anne Gastinel et poursuit désormais son cursus à la Chapelle Reine Elisabeth avec Gary Hoffman. Le France est décidément une terre d'élection pour le violoncelle : on en trouve une nouvelle illustration chez un musicien à la sonorité riche et très singulière, comme nimbée d’un halo de poésie (il faut sans doute y voir l’influence, positive !, de sa découverte assez récente de la viole de gambe). Outre deux belles pièces de Nadia Boulanger avec Tom Carré, on a aussi pu apprécier Léo Ispir en trio, Sarah Jégou-Sageman se joignant à ses deux collègues pour un très vivant Pantoum tiré du Trio de Ravel.
(de g. à dr. ) Josquin Otal, Tom Carré, Sarah Jégou-Sagemann, Anaïde Apélian, Léo Ispir, Camille Chopin, Abel Zamora, Alexandre Baldo, Marion Vergez-Pascal
© Thomas Bartel - Adami
En ce qui concerne les quatre talents vocaux présentés cette année par l’Adami, on constate une fois de plus qu’il est bien difficile de proposer une sélection d’un niveau uniforme. De toute évidence, comme à chaque fois, certains apparaissent déjà parfaitement armés pour entamer une belle carrière, tandis que d’autres ont encore besoin d’un temps de maturation.
Ainsi, le ténor Abel Zamora possède un joli timbre et ne manque pas de style dans le répertoire français. (Une parenthèse à ce propos : on salue l’admirable originalité dont ont fait preuve la plupart des artistes de cette édition 2024, notamment en allant chercher de belles raretés de notre répertoire national.) Après avoir audacieusement interprété l’air du héros dans le Cinq-Mars de Gounod, Abel Zamora peine à se faire entendre face à son partenaire dans le duo « Vivat Bacchus » tiré de L’Enlèvement au sérail. Son Osmin, la basse Alexandre Baldo, a en effet une voix plus sonore, surtout dans le grave, et comme il le montre dans le « Non più andrai » des Noces de Figaro qu’il a choisi comme air soliste, il manifeste cette grande aisance scénique qu’on avait pu noter lors des récentes représentations de l’Orfeo de Sartorio à l’Athénée. Dommage seulement que chacun des aigus de Figaro (un mi marqué forte sur la partition) soit émis pianissimo, avec précaution.
La mezzo Marion Vergez-Pascal se lance courageusement dans un air de zarzuela, répertoire rarement défendu de ce côté-ci des Pyrénées. Sans exiger qu’elle y mette tout le piquant que savait y insuffler une Victoria de los Angeles, on aimerait malgré tout un peu plus de verve à ce « Carceleras » extrait de Las hijas del Zebedeo de Chapí, notamment dans le grave. Elle revient pour le beau duo de Don César de Bazan de Massenet, choix original mais où la superposition quasi constante des deux voix ne laisse à aucune le loisir de s’affirmer vraiment. On a gardé pour la fin la soprano Camille Chopin, récemment récompensée par deux prix, au concours Nadia et Lili Boulanger et au concours d’Avignon, récompenses amplement méritées tant cette jeune artiste semble avoir en main tous les atouts pour faire une magnifique carrière. Elle le démontre ici en interprétant la scène du Cours-la-Reine de Manon, enchaînant « Je marche sur tous les chemins » et « Obéissons quand leur voix appelle » avec une suprême aisance dans la vocalisation, une diction superlative et une véritable intelligence du texte, parfaitement incarné. Voilà un talent qu’on veillera à suivre attentivement.
Avis aux jeunes musiciens désireux de présenter leur candidatures aux Talents Adami 2024 : les inscriptions sont ouvertes depuis le 5 février et le demeurent jusqu’au 8 mars.
Alain Cochard (instrumental) et Laurent Bury (voix)
(1) www.adami.fr/appel-a-candidatures-talents-adami-classique-2024/
Paris, Bal Blomet, 15 janvier 2024
Photo © Thomas Bartel - Adami
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