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Coppél-I.A. par les Ballets de Monte-Carlo – Inquiétant regard sur le futur – Compte-rendu
Ce Coppél-I.A., donc, le travaillait depuis longtemps, il y pressentait une matière plus intéressante à malaxer que la charmante bluette concoctée en 1870 sur la musique de Delibes par les chorégraphes Nuitter et Saint-Léon pour délasser le bourgeois et lui offrir quelques tableaux de genre à la limite de l’infantile. Les autres versions n’ont d’ailleurs pas manqué depuis, notamment celle de Roland Petit, troublante à sa façon habituelle, et celle de Patrice Bart pour l’Opéra de Paris. Moderne Hoffmann, Maillot se saisit donc de l’argument qui montre la passion du créateur pour son idéale image animée, face à Frantz, un jeune homme amoureux de l’automate qui lui fait délaisser sa fiancée Swanilda, comme le héros des Contes d’Hoffmann l’est d’Olympia.
Maillot va à la fois plus loin dans le temps en creusant davantage cette antique figure de Pygmalion dépassé par son rêve devenu réalité froide puis rebelle, et plus près de nous aussi, en faisant de la Fille aux yeux d’émail un robot séduisant, Coppél-I.A., tel que pourrait l’incarner une Angelina Jolie. En fait, c’est le thème de l’intelligence artificielle qui le pousse à cette transposition qu’il traite avec plus de trouvailles visuelles que de recherche fondamentale tant la prudence et le sens scénique lui intiment de rester sur ses gardes face à des lendemains qui font peur
L’absence de lyrisme de son style vigoureux qui jamais ne se laisse aller à trop d’épanchements, convient donc parfaitement à cette remise en jeu d’éléments vieux comme le monde et repris passionnément par le XIXe siècle – La Sylphide déjà avait montré l’homme aux prises entre la saveur du concret et l’idéale image d’une femme rêvée. Mais cette fois, la beauté est métallique et sa silhouette est celle d’une moderne walkyrie sans foi ni loi. On voit donc se succéder des pas de deux supersoniques, des ensembles virevoltants, le désespoir d’un homme qui a voulu aller trop loin, le tout dans une monochromie qui joue la carte de la blancheur pure et dure, allant des fantastiques costumes tirés de quelque cirque galactique pour les invités aux lignes dépouillées et robotisées de Coppél-I.A. et à la robe de rêve que porte Swanilda, scintillante d’étoiles et digne de quelque Cendrillon revisitée par Paul Poiret ou plus tard Hanae Mori.
Le tout sur un fond de lignes demi-circulaires encadrant un immense œil mobile (rappel de ceux que vend Coppélius dans Hoffmann ?), qui font passer d’un souffle de l’Oscar Schlemmer des années 30 à l’emblème de quelque firme cinématographique de l’époque. Un ensemble visuel d’une rare beauté, signé de la jeune plasticienne Aimée Moreni, qui donne du chic et du sens à cette blancheur bien plus inquiétante dans sa froideur qu’axée sur une sempiternelle pureté, et permet la dérive imaginée par le chorégraphe vers un monde en passe de perdre ses couleurs, sa chair, son parfum.
Partie prenante de cette aventure dérangeante juste ce qu’il faut, le travail que Bertrand Maillot, frère de Jean-Christophe, et lui, engagé dans la musique et les techniques de son temps, a accompli sur la gracieuse partition de Delibes, si finement composée, comme il le reconnait lui-même. On se souvient combien la Sylvia de John Neumeier à l’Opéra de Paris, avait rendu sa noblesse et sa richesse à l’écriture du musicien, combien la Giselle de Mats Ek donna une nouvelle dimension à la partition d’Adam, devenue provocante et tragique grâce à lui. Là, ce n’est pas un mauvais parti qui est fait à la musique de l’ancien Coppélia, mais des portes ouvertes vers d’autres résonances, d’autres expressions, l’aspect mélodique étant assombri, détourné par le biais d’une relecture virtuelle qui s’ajoute à une partition autonome signée Bertrand Maillot, ce qui permet le dédoublement sonore et visuel qu’impose ce Coppél-I.A. La fusion des talents des deux frères, le chorégraphe, endiablé et solaire (avec des zones d’ombre), le musicien plus lunaire et resserré sur ses questionnements envers la matière sonore, donne un résultat attachant, dont la perfection dramatique se double d’une vraie angoisse métaphysique, heureusement traitée sobrement.
Mais heureusement il n’y a pas de poupée sans un vrai corps qui l’habite, pas de Coppélius déchiré sans une vraie âme, pas de couple d’amoureux sans de joyeuses jeunesses, et il faut bien dire que le Ballet de Monte Carlo connaît à ce jour un renouveau éclatant grâce à quelques artistes marquants, que la chance a mis dans les mains du Pygmalion Maillot, lequel reconnaît avec son bon sens coutumier, « qu’on n’engage que ce qu’on trouve ! », ce qui explique quelques époques moins fastes. Bravo donc à la belle présence de Matèj Urban en Coppélius, à la grâce exquise de Anna Blackwell en Swanilda, à la fraîcheur de Simone Tribuna en Frantz, qu’il devra creuser un peu plus, et enfin à la superbe Lou Beyne dans le collant métallique du robot, qui fait miroiter sa gestique mécanique et ses lignes acérées. Vers ce monde sans fin ni finalité qui s’ouvre ainsi sous les pas des danseurs et la vision du chorégraphe, on a envie d’en rester là, à goûter ce plaisir aussi intelligent que sur le fil.
Jacqueline Thuilleux
Photo © Alice Blangero
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