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Così fan tutte à l'opéra du Rhin - Qui trop embrasse mal étreint - Compte-rendu
Cosi est le Mozart le plus délicat à monter. Opéra de la fausse simplicité, des pièges de l’amour et de la séduction, il réclame de savoir doser subtilité et intelligence. Le metteur en scène allemand David Hermann est amplement pourvu de l’un comme de l’autre, ses Ariadne auf Naxos à Nancy et Simon Boccanegra pour Montpellier l’ont démontré. Dans ce Cosi, il semble néanmoins succomber à un abus d’intelligence.
Son propos ? Raconter les rapports amoureux hommes / femmes au cours de la première moitié du XXème siècle. Sur le papier c’est alléchant, en vrai le rendu déborde l’intention initiale. Le référentiel Guerre de 14-18 imposé au premier acte s’avère malvenu. Le tragique de l’histoire est étranger au livret de Da Ponte. Pure comédie de marivaudage travesti, on y souffre du mal d’amour, une bien petite écharde comparée aux baïonnettes. Dès lors, envoyer à la boucherie Guglielmo et Fernando pour les faire revenir en gueules cassées ne fonctionne pas. Cela peut s’appliquer à Wagner, à Verdi, voire à Idomeno ou à La Clemenza di Tito, mais la similitude tombe ici à plat, tel ce cadavre chu des cintres.
Photo © Klara Beck
Son choix contraint David Hermann à tordre l’intrigue. Le premier acte s’achève dans un cabaret énigmatiquement tropical. La production semble sauvée au cours d’un second acte campé dans les années 30, au milieu des laques Art Déco imaginées par Jo Schramm. Dommage qu’il faille subir la partouze de rigueur, un poncif scénique depuis Olivier Py. Puis les personnages, cette fois menacés par la bombe nucléaire, s’égarent. Le contrat de mariage provoque un galimatias féministo - genré dont la nécessité laisse dubitatif. Ce feuilleton historique aura du moins été l’occasion d’une débauche de costumes signés Bettina Walter mais qui s’avèrent peu utiles pour une œuvre qui n’en demande pas tant.
Photo © Klara Beck
Le bonheur musical est en revanche au rendez-vous, à commencer par la Fiordiligi de Gemma Summerfield. Timbre moelleux, moiré et dense, agréable à l’oreille, la soprano britannique affronte sans péril Come Scoglio et déborde d’émotion pour Per Pietà, bien qu’un surcroît d’expressionnisme transforme parfois la ligne mozartienne en Richard Strauss. Fiordiligi n’est pas la Sophie de Rosenkavalier même si l’interprète est armée pour transpercer le mur sonore.
Le baryton allemand Björn Bürger, très remarqué en Bolkonsky dans le récent Guerre et Paix de Genève, impose un Guglielmo de belle prestance et aux couleurs onctueuses. Le ténor de Jack Swanson tient plus de Rossini que de Mozart, mais il sait se tempérer durant quelques instants élégiaques. Ambroisine Bré nous a laissés sur notre faim, son mezzo s’avérant large et sans nuances, ce qui a surpris chez cette délicate interprète de Lully. Don Alfonso, le vieux Casanova et Despina la délurée ayant été réduits à l’état d’encombrants dramaturgiques, Nicolas Cavallier et Lauryna Bendžiūnaitė ne captent guère l’attention.
En fosse, le Philarmonique de Strasbourg pratique un Mozart auquel manque le charnu des instruments anciens, désormais indispensable. Le très jeune Duncan Ward, sachant mettre en exergue une ligne de basson ou de violoncelle, nous prémunit cependant de toute torpeur auditive. Quant à David Hermann, s’il nous a laissés cette fois perplexes, rien n’empêchera d’aller à Lyon découvrir son Tannhäuser qui ouvrira la prochaine saison.
Vincent Borel
Mozart : Così fan tutte - Strasbourg, Opéra du Rhin, 14 avril ; prochaines représentations les 19, 21, 24 & 26 avril (Strasbourg), puis les 6 et 8 mai à Mulhouse, le 15 mai 2022 à Colmar.
www.operanationaldurhin.eu/fr/spectacles/saison-2021-2022/opera/cosi-fan-tutte
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