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Croquefer et L’île de Tulipatan à l’Athénée - Fille ou garcon ? - Compte-rendu
En une dizaine d’années d’existence, la compagnie Les Brigands est régulièrement revenue à Jacques Offenbach et c’est une fois de plus vers son “saint patron” qu’elle se tourne pour un spectacle regroupant deux de ses nombreux ouvrages en un acte : l’opérette bouffe Croquefer ou le dernier des paladins (1857) et l’opéra bouffe L’île de Tulipatan (1868). Original couplage qui dévoile deux visages méconnus du compositeur et donne la mesure de son évolution en l’espace d’une bonne décennie.
Avec Croquefer, l’artiste en est à ses débuts et ne connaît encore que le cadre du un-acte et quatre personnages maximum (Croquefer lui offre justement l’occasion de briser ce carcan grâce au personnage “muet”, avec pancartes dans la besace, de Mousse-à-mort), tandis que Tulipatan appartient à ses grandes années : La Belle Hélène (1864), La Vie parisienne (1866) et La Grande-Duchesse de Géroldstein (1867) ont déjà fait sa gloire lorsque le compositeur renoue avec le genre en un acte pour un irrésistible opéra bouffe sur un texte d’Alfred Duru et Henri Chivot.
Génie du musicien, qualité d’un livret lui laissant toute latitude pour déployer un art éblouissant ? A l’évidence, mais, il n’est pas inutile de le rappeler, un “métier” aussi qu’il était loin de posséder en s’attelant onze au plus tôt à Croquefer. Le texte d’Adolphe Jaime et Etienne Tréfeu ne fait pas dans la dentelle et, comme le souligne le metteur en scène Jean-Philippe Salério, “ la loufoquerie de ce Moyen Âge n’a rien envier aux Monty Python”, jusqu’à une conclusion où tout le monde finit accroupi et cul nu, le “poison des Borgia” n’étant en fait qu’un puissant purgatif…
Dans une scénographie ingénieuse de Thibaut Fack (un miroir incliné au-dessus de la scène qui conduit souvent les chanteurs à jouer allongé pour s’offrir en reflet à l’œil du spectateur), J.F. Salério pousse la joyeuse troupe à s’en donner à cœur joie. On gardait un sacré souvenir de Flanna Obé dans Au temps des croisades de Terrasse (présenté fin 2009 à l’Athénée); il n’a rien perdu en énergie et en présence et campe un Croquefer parfaitement apparié au non moins tonique écuyer Boutefeu d’Emmanuelle Goizé. Mousse-à-mort revient à Loïc Boissier (le directeur artistique de la compagnie), parfait dans le rôle de l’archi-éclopé muet. Laura Neumann (Fleur-de-soufre) et François Rougier (Ramasse-ta-tête) rajoutent du piment à une oeuvre où le rapport texte/musique joue certes trop en défaveur de cette dernière, mais on ne boude pas pour autant la découverte de cet Offenbach en devenir.
A l’époque de L’île de Tulipatan, le “Mozart des Champs-Elysées” s’est définitivement trouvé et fait son miel du livret du tandem Duru/Chivot. Le secret avait été longtemps préservé ; la vérité éclate enfin : Hermosa, fille de Romboïdal, n’est pas une fille mais un garcon, Alexis; fils de Cacatois XXII, n’est pas un fils mais une fille. Argument aussi simple qu’efficace qui nourrit une partition ramassée, sans un temps mort. Un très grand Offenbach, que Les Brigands dévorent avec un réjouissant appétit. L’incroyable tempérament de Flannan Obé, impayable en Hermosa, éblouit une fois de plus mais sans écraser le reste d’une équipe qui joue pleinement le jeu d’une mise en scène aussi simple que fluide et efficace. Vertical cette fois, le grand miroir est devenu mur vitré avec deux portes tournantes. Le modeste rôle de Fleur-de-soufre ne permettait pas à Laura Neumann de toute la mesure de son art : on se délecte littéralement de sa drôlissime Théodorine ! Après son pétaradant Boutefeu, Emmanuelle Goizé (Alexis) change de registre et cultive de charmante façon la timidité de son rôle, tandis que François Rougier (Romboïdal) et Loïc Boissier (Cacatois XXII) campent deux pères hauts en couleur.
Dans la fosse, Christophe Grapperon mène avec esprit et punch une musique habilement réduite pour une dizaine de musiciens par Thibaud Perrine, l’arrangeur attitré des Brigands.
Alain Cochard
Offenbach : Croquefer / L’île de Tulipatan – Paris, Athénée Théâtre-Louis Jouvet, 19 décembre 2012, prochaines représentations les 27, 28, 29, 30, 31 décembre et les 2, 3, 4, 5, 6, 9, 10, 11, 12, 13 janvier 2013
Site des Brigands : www.lesbrigands.fr
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Photo : Claire Besse
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