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Daniil Trifonov en récital à l’Auditorium de la Fondation Louis Vuitton – Ressentir et pressentir – Compte-rendu

 

Affluence des grands soirs à la Fondation Louis Vuitton. Dès son annonce, le récital de Daniil Trifonov figurait il est vrai sur les agendas de tous les amoureux de piano. Et l’artiste russe a été pleinement à la hauteur des attentes dans un programme bien conçu qui menait de Rameau à Beethoven, en passant par Mozart et Mendelssohn,
 
Tempo alenti, délicatesse du ton : dès les premières notes de l’Allemande de la Suite en la mineur, une interprétation singulière se dessine. La musique de Rameau s’offre à nous comme « en rêve », semblant émerger d’un passé lointain. Charme puissant d'une vision où la couleur est distillée avec un art du toucher confondant et parfaitement accordé à l'option retenue.
Changement de ton avec la Sonate n° 12 en fa majeur de Mozart. Le KV 332 n’est sans doute pas la réalisation pour clavier la plus impérissable de l’auteur, mais Trifonov parvient à transformer son piano en une véritable scène de théâtre : il embarque son auditoire dans un univers sonore délicieusement vivant, tendre (cet Adagio ; cet art du chant ...), plein de surprises et d’étonnement.
Trifonov ressent la nature profonde des partitions avec un art poétique consommé ; il sait aussi montrer tout ce qu’elles pressentent de l’évolution du sentiment. Ses Variations sérieuses de Mendelssohn, de ce point de vue, s'avèrent prodigieuses, urgentes et totalement projetées dans le futur – pré-schumaniennes.

À Beethoven l’intégralité de la seconde partie : 29e Sonate « Hammerklavier ». Trifonov s’en empare avec une autorité et une jubilation fabuleuses, et une liberté technique qui élimine le côté regardez-ce-redoutable-Everest-dont-j’entreprends-l’ascension. Pressentir ? Le Scherzo apparaît de ce point vue extraordinaire par l’aptitude de l’interprète à y saisir une dimension proprement fantastique, à entrevoir bien des conquêtes du romantisme. Humanité et hauteur de vue de l’Adagio, jubilation polyphonique de la fugue ... Une soirée au sommet.
 
Alain Cochard
 

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Paris, Auditorium de la Fondation Louis Vuitton, 2 mai 2024

Photo © Fondation Louis Vuitton

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