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​David Guerrier et Jean-Baptiste Robin clôturent la saison d’orgue de Radio France – Feu d’artifice – Compte rendu

Triomphale acclamation à l'issue de l'ultime concert de la saison d'orgue de Radio France – programme festif et savamment équilibré de David Guerrier et Jean-Baptiste Robin (photo), succession de dix pièces contrastées avec pas moins de deux commandes de Radio France en création mondiale – de la part d'un public enthousiaste et aussi nombreux qu'il était possible en ce dernier jour de jauge à 35%. Autant dire, dans de telles conditions, salle comble. Ce trompette et orgue était introduit par Pierre Charvet qui fit part à l'assistance de la nomination de David Guerrier, cor solo de l'Orchestre national de France de 2004 à 2009, sous Kurt Masur, au poste de trompette solo de la même formation : situation unique d'un musicien maîtrisant à un tel niveau ces deux instruments à maints égards antinomiques.
 
Baroque, fin XIXe, milieu XXe et temps présent, ce concert jouait de la confrontation d'époques et de formes librement enchaînées, à des pages emblématiques du trompette et orgue baroque et moderne répondant l'orgue seul, original ou transcrit. Les musiciens prirent d'emblée de la hauteur, jouant depuis la « tribune » de la console mécanique du Grenzing : Sonata prima de Giovanni Buonaventura Viviani retrouvée à Bologne par Marie-Claire Alain, qu'elle popularisa avec Maurice André. Splendeur de la projection de la trompette, d'une éloquente vocalité ornementée. Lui fit suite, à la console mobile et dans une version augmentée en regard du concert versaillais de 2019 (1), les Variations sur la Marche des Turcs de Lully conçues par Jean-Baptiste Robin, lequel sut évoquer un chœur d'anches et cornets digne de la facture classique, aussi vrai que nature : étonnante polyvalence de la palette du Grenzing quand un musicien sachant anticiper et écouter, discerner et orienter, est aux commandes. La section baroque se refermait sur un Bach « obligé » (à la demande de Radio France), ici le tonique et italianisant Prélude et fugue en sol majeur BWV 541, restitué tel un « monolithe », sans jouer des plans sonores, comme pour souligner les contrastes résultant de la seule écriture (Fugue).
 
Jean-Baptiste Robin © Jean-Baptiste Millot
 
À l'instar des maîtres anciens, les créateurs français du XXe siècle ont œuvré pour le trompette et orgue, jusqu'à constituer un répertoire de haute tenue. En témoignèrent (« en tribune ») l'envoûtante Cantate (1971) de Georges Delerue, très Grand Siècle revisité, et les glorieuses (pour la trompette !, sollicitée de façon phénoménale : souffle, éclat, puissance) Variations grégoriennes sur un Salve Regina d'Henri Tomasi, dont Radio France commémorait le 10 février dernier le cinquantième anniversaire de la disparition (2) : enchanteresse première partie jouée avec sourdine – toute la souplesse chantante d'un cor anglais –, le reste de l'œuvre exaltant l'apparat dont l'instrument est capable, sans l'ombre d'un effort apparent sous les lèvres de David Guerrier, jusqu'au final en apothéose. Entre Delerue et Tomasi se glissa, à l'orgue seul, Asturias d'Albéniz transcrit par Robin lui-même : franchise de ton sur un Grenzing alors d'esprit orchestral, approche incisive différant radicalement de sa gravure aux nuances dynamiques extrêmes, jusqu'à l'imperceptible, à l'orgue Skinner de Cincinnati. Quand les œuvres s'adaptent, du fait de l'interprète, aux différentes esthétiques instrumentales. Après Tomasi, retour vers la douceur, et la plénitude : Clair de lune de la Suite bergamasque de Debussy transcrit par Jean-Baptiste Robin pour l'orgue et non en quête d'un piano restitué, comme il s'en explique dans le programme de salle
 
Deux créations complémentaires en termes de climats figuraient au programme, séparées par un monumental, bien que concis, moment de bravoure soliste : électrisante et redoutable Esquisse op. 41 n°2 (en fait n°3, 1945) de Marcel Dupré, d'un « modernisme » acéré contrastant avec la poésie des œuvres en création. Tout d'abord Le Chant d'Orphée de Guillaume Connesson, non pas organiste mais qui connaît l'instrument pour lequel il a déjà écrit, « grande mélodie charmeuse basée sur un motif de neuf notes – les neuf cordes de la lyre d’Orphée – accompagnée par des accords modaux [et qui] se conclut par une citation de L'Orfeo de Monteverdi. » Pur lyrisme hors du temps, décanté, d'une intense séduction, moment d'abstraction préparant à la complexité de l'œuvre aux mille facettes de Jean-Baptiste Robin : « Pour ce qui est de l'origine du titre, j'ai cherché à évoquer par les mots l'aspect révolu, perdu, ancien de ce qu'exprime la musique. Le terme parchemin me semble propice, ainsi que les cendres qui évoquent une vie perdue. Après réflexion, sachant qu'il y a plusieurs thèmes et donc pages distinctes, Parchemins de cendre... ». Une analyse en est proposée dans le programme de salle. Rien de ce qui est écrit en amont ne peut toutefois donner la moindre idée de la réalité sonore et sensible de l'œuvre telle que l'auditeur la perçoit à l'instant de sa création. Ce dès le « thème ancien » – un quelque chose de Nino Rota, réminiscence hors contexte de la nostalgique trompette de La Strada… Étonnante et pleine de puissants sortilèges – cette cendre est volcanique ! –, l'œuvre porte la trompette à l'incandescence, l'orgue n'étant pas en reste. Ce concert n'ayant malheureusement pas été retransmis en direct, il n'y a pas encore de podcast – il faudra attendre l'habituelle « diffusion ultérieure » pour découvrir ces deux captivantes créations.
 
À peine cette saison si particulière s'est-elle refermée que la suivante s'annonce. Premier concert d'orgue dès le 21 septembre : Olivier Latry dialoguera avec Éric Le Sage au piano, des symphonistes belgo-français à Fauré, Ravel (Adagio du Concerto en sol transcrit pour les deux instruments), mais aussi Rhapsody in blue de Gershwin en duo !
 
Michel Roubinet
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