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Démonstrations de l’Ecole de Danse de l’Opéra - Retour aux sources – compte rendu
Il faut avoir au moins une fois assisté à ces démonstrations, qui accueillent un public très spécial et pour lequel le spectacle est largement dans la salle : excitation poussée à son comble, troupeaux d’adorables gamines gambadant, dont les jupes en tulle pouffent sous leurs anoraks, tandis que les boucles blondes savamment échafaudées s’écrasent sous leurs bonnets à pompon. Bref, des rêves plein la tête, au moins cinq cents étoiles en herbe, dans la salle, autant de mères en folie et de papas tremblotant, appareil au poing. Le tout sur fond de voix aigues, d’applaudissements crépitants, bref, d’une effervescence ludique qui réveille la vieille et un peu compassée Grande Boutique.
Pourtant, il ne faut pas s’y méprendre : même rêvé en tulle rose par des enfants joyeux, l’apprentissage de la danse classique est une chose terriblement sérieuse, rigoureuse et exigeante. Rien n’y est laissé au hasard, l’engagement doit être total, la moindre faiblesse endiguée, le tout pour le bonheur d’un corps enfin mis aux mesures de l’esprit et de la beauté, d’un corps rendu intelligent et parlant.
Voilà très exactement quarante années, que Claude Bessy a eu l’idée de faire partager au public quelques instants majeurs de la vie de l’Ecole, de ses classes d’âge à ses styles d’enseignement, de ses ratés émouvants à ses espoirs et surtout à la pérennité d’un style dont elle se fit la gardienne et qu’Elisabeth Platel prolonge aujourd’hui avec passion. D’ailleurs, cette dernière a ouvert le jeu elle-même cette fois, en présentant l’essentiel de l’école classique, la barre, qu’elle met en valeur en commençant le spectacle par les plus jeunes, les 6e divisions, garçons et filles, délicieusement cramponnés à cet outil majeur. La barre, axe de fixation des positions, guide de l’équilibre, de l’en-dehors, de la gestion des poids du corps, de sa métamorphose. La barre qui inspira de grands chorégraphes - merveilleux Art de la Barre de Béjart, ballerines de Degas, évoquées par Neumeier dans Casse-Noisette - et où se sculpte le corps du futur danseur.
Dire que les 6° divisions sont les chouchous du public est une évidence : craquants dans leurs mines sérieuses, malicieux autant que concentrés, drôles et touchants avec leurs attitudes princières parfois maladroites , ces gamins donnent la mesure de l’enjeu et raflent les cœurs. Tout se lit dans leur tenue, et annonce la lente évolution du corps qu’ils commencent à maîtriser, à « placer », dans une recherche de beauté qui ne les quittera jamais. Certains sont déjà impressionnants par l’intelligence avec laquelle ils ont déjà compris l’essentiel du message que l’on veut leur communiquer. Les voir guider par l’excellent et chaleureux Bertrand Barena est un pur bonheur, mais non un divertissement.
© Svetlana Loboff
Dire ensuite que les 1° divisions sont celles suivies avec le plus de passion est également une évidence : car ces jeunes gens, en dernière année, sont aux portes de leur future carrière, voire de leur entrée dans le Ballet de l’Opéra, et sont regardés avec un œil gourmand par un public qui cherche en eux ses futurs grands ! Là, ils sont entre les meilleures mains, celles de Wilfrid Romoli, extraordinaire professeur, qui avec l’aide de Carole Arbo, responsable des 1eres divisions filles tandis que lui gère les garçons , les a menés en une très belle séquence de pas de deux, où se mêlant ou se séparant, les jeunes danseurs passaient la rampe de la chorégraphie et non plus seulement des pas. Un finale de haute volée et de pur lyrisme, sans doute la vertu la plus difficile à acquérir, par delà la performance.
Les séances s’enchaînent souplement, chaque professeur annonçant le suivant d’une jolie esquive, et profitant de l’occasion pour rendre hommage à l’un des grands noms passés, Jacqueline Moreau, Alexandre Kalioujny notamment. Car l’un des éléments intéressants de cette séance est en effet, la polyvalence des enseignements, qui se sont de plus en plus diversifiés, du baroque au mime, du caractère à l’expression musicale- avec notamment une belle séquence consacrée à la danse contemporaine, guidée par Claire Baulieu.
Ce qui permet aussi de confronter la variété des personnalités des professeurs : du styliste au coach, du spécialiste au maître d’école, comme Scott Alan Prouty, qui les fait danser en chantant. A ce propos, risquons un mini regret : certes, Le poinçonneur des lilas a des vertus rythmiques et humoristiques incontestables, mais il doit sonner aussi loin aux oreilles de ces enfants que les menuets Louis le quatorzième. Eut-il été vraiment trop difficile d’improviser, en quelques jours, une quelconque envolée de deux minutes sur une des rengaines de feu Johnny ? On se pose la question. Cela eut pu plaire, et prolonger en légèreté d’une touche de modernité populaire, cet art de cour qu’on s’efforce de faire persévérer tout en l’ouvrant à d’autres horizons. Mais cela n’a rien enlevé, bien sûr, au plaisir de ces joyeux ébats !
Jacqueline Thuilleux
Démonstrations de l’Ecole de Danse de l’Opéra - Paris, Palais Garnier, 10 décembre ; prochaines représentations, les 16 et 23 décembre 2017 / www.operadeparis.fr
© Svetlana Loboff
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