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Dialogues des Carmélites au Théâtre des Champs-Elysées – Le ciel peut attendre – Compte-rendu
Attention chef-d’œuvre ! On l’a dit et répété depuis plus de dix ans et ce n’est pas aujourd’hui avec cette dernière (?) reprise sur les lieux même de sa création en décembre 2013, que nous allons déroger à notre enthousiasme. Rares sont les productions qui éblouissent à ce point et marquent les esprits par la qualité et la complétude de leur réussite. Voulu par le directeur du Théâtre des Champs-Elysées, Michel Franck, qui termine en apothéose son ultime mandat et confié au turbulent Olivier Py, ces Dialogues des Carmélites magistralement interprétés resteront dans les annales du théâtre et pour longtemps.
© Vincent Pontet
Beauté des décors bruts et stylisés, justesse des situations, acuité des atmosphères, le drame de Bernanos est une plongée glaçante dans la pénombre révolutionnaire à un moment de chaos et de bascule que rien ni personne ne semble maîtriser. Incapable de supporter la violence du monde, la maladive héroïne, Blanche de la Force, rentre au carmel pour s’isoler et prier auprès de sœurs qui vont l’aider à supporter son mal être existentiel. De l’hôtel parisien dévasté à l’austère couvent de Compiègne qu’elle intègre, le dépouillement et le renoncement sont proches, ce que révèle avec précision la mise en scène épurée de Py. A la folie meurtrière de cette époque, répond la rigueur du Carmel dont l’ordre et la règle volent bientôt en éclat. Conspuées, jetées en prison, ces religieuses comme l’essentiel des représentants de l’Eglise, accusées par le Tribunal révolutionnaire de tous les maux, finiront ensemble sur l’échafaud, Py les laissant rejoindre une à une un ciel de nuit piqué d’étoiles, comme autant d’anges immaculés …
© Vincent Pontet
L’un des points forts de cette production réside également dans sa distribution, très largement française. Présentes en 2013, puis en 2018 à Paris et parfois en tournée, Patricia Petibon, Véronique Gens et Sophie Koch se sont investies corps et voix, corps et âmes dans cette œuvre où les mots de Bernanos sont intrinsèquement liés à la musique de Poulenc. Si la version initiale (captée et éditée en DVD - Erato) a été quelque peu remaniée, son noyau dur a été préservé.
© Vincent Pontet
Blanche incendiaire, fragile et déterminée, Patricia Petibon est aujourd’hui une Mère Marie à l’autorité tourmentée, dont les contorsions vocales et les aigus difficiles apportent un surcroît d’humanité à ce personnage aussi raide qu’inquiétant. Sophie Koch, ex Mère Marie prête désormais ses traits et son bel instrument à la Première Prieure, Mme de Croissy. Succédant à trois cantatrices de caractère (Brunet-Grupposo, Von Otter et Plowright), la mezzo française se montre impressionnante dans ce rôle central qu’elle aborde avec de vrais moyens – et non des restes – appuyés sur une diction parfaite et un jeu au réalisme poignant : son agonie, debout sur un lit verticalement accroché au beau milieu de la scène est anthologique.
Ne pouvant être comparée qu’à elle-même, Véronique Gens défie le temps avec le portrait toujours aussi saisissant de cette Mme Lidoine qu’elle vit et chante comme elle respire, confiante et rassurante jusqu’à la mort, drapée dans une dignité et un esprit maternel très personnel. Nouvelle venue de choix, chère à Michel Franck, Vannina Santoni est une Blanche électrisante. Comme toujours chez cette artiste de grand talent, la préparation est fouillée, l’incarnation crânement assumée, la voix affûtée sur tout le registre se montrant endurante et d’une extrême mobilité expressive. Si Manon Lamaison n’a pas la grâce de Sandrine Piau (Sœur Constance), Alexandre Duhamel (Marquis de la Force) et Sahy Ratia (Chevalier de la Force) s’acquittent sobrement de leurs personnages, tandis que Matthieu Lecroart, Loïc Felix et Yuri Kissin confirment le soin apporté à cette impeccable reprise dirigée par Karina Canellakis.
Après Jérémie Rhorer, Jean-François Verdier ou Alain Altinoglu, la cheffe américaine fait preuve d’un engagement et d’une hauteur de vue admirables, rendus possible par de remarquables instrumentistes. Exaltée, lyrique et tragique, sa lecture emporte l’orchestre Les Siècles dans un flux musical chargé d’émotions, de fureur et de passion qui galvanise chaque interprète et transporte l’auditoire. Mémorable soirée.
François Lesueur
> Les prochains concerts "Poulenc" <
Poulenc : Dialogues des Carmélites – Paris, Théâtre des Champs-Elysées, 4 décembre ; prochaines représentations 10 et 12 décembre 2024 // www.theatrechampselysees.fr/saison-2024-2025/opera-mis-en-scene/dialogues-des-carmelites#!section6
Photo © Vincent Pontet
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