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Dimitri Malignan et Sarah Bayens à l’Institut Goethe – Destins hollandais – Compte-rendu
Prix Cortot en 2017, Dimitri Malignan est plus souvent présent à l’étranger qu’en France (les Etats-Unis l’attendent début mars) ; c’est avec un grand bonheur qu’on l’a retrouvé à l’Institut Goethe. Un fin musicien qui renouait avec le public parisien lors d’une soirée en partie partagée avec la violoniste belge Sarah Bayens.
Sans aucunement se détourner du grand répertoire – le pianiste a signé un très beau récital Bach (Hortus) il y a quelque temps –, Malignan fait montre d’une grande curiosité envers les compositeurs juifs de l’époque de la seconde guerre mondiale hors de la sphère germanique, des auteurs qu’il connaît particulièrement bien pour leur avoir consacré sa thèse de master à l’époque de ses études avec Naum Grubert à Amsterdam.
Le mouvement d’exploration de l’Entartete Musik, selon une terminologie de triste mémoire, a certes permis de nombreuses et passionnantes découvertes, mais pour l’essentiel situées dans la sphère germanique. C’est tout à l’honneur de l’Institut Goethe – dans le cadre d’une collaboration avec le Forum Voix Etouffées (1) – que de faire place à un programme réunissant deux figures de la musique néerlandaise : Dan Belinfante (1893-1945), artiste au sort d’autant plus tragique que, déporté à Auschwitz, il y mourut assassiné ... le jour de la libération du camp, et Henriëtte Bosmans (1895-1952), compositrice et pianiste très active durant l’entre-deux-guerres. Elle échappa au pire grâce à une intervention de Willem Mengelberg mais disparut précocement, sept ans après la fin du conflit, sans que sa carrière ait pu redémarrer.
Début de concert au piano solo avec des pages de Belinfante qui, si l’activité créatrice de leur auteur s’exerça toujours discrètement parallèlement à un poste de directeur de conservatoire, méritent vraiment d’être jouées. La sélection proposée par le pianiste s’étale entre 1924 et 1943 et révèle une écriture très marquée par la musique française, par la polytonalité de Milhaud en particulier.
Le Prélude charme par son balancement rêveur (qualificatif souvent approprié à la musique de Belinfante), tandis que la Sonate n° 2 (1928), en un seul mouvement, manifeste une étrangeté labyrinthique. Le profond sens de la couleur de l’interprète trouve à s’y exprimer, tout comme dans la Sonate n° 3 (1939) : Malignan traduit avec art la poésie d’un Adagio aux allures de nocturne, avant un finale impétueux et d’une rythmique obsédante.
Tirés des Six Réflexes (1941), le Rubato (n°2) est restitué « delicato e espressivo », comme demandé, avec une grande plénitude et un je-ne-sais-quoi de flottant, tandis que l’Allegretto (n°3) vibre tel un ciel étoilé. Une dimension visuelle que l’on retrouve plus encore dans Avond Landschap, inspiré d’une toile de Jan Broeze, musique tendre et rêveuse dont le dernier accord résonne avec une signification toute particulière sous les doigts de Dimitri Maligan. 1943 : sans doute la dernière pièce écrite par Belinfante avant sa déportation ...
Changement d’atmosphère avec la Sonate pour violon et piano d’Henriëtte Bosmans. Un ouvrage de 1918 qui, dès la toute première mesure de l’Allegro passionnato, ma non troppo mosso initial plonge l’auditeur dans une musique pleine de sève post-romantique. L’influence de l’école franco-belge, de la Sonate de César Franck (coupe en quatre mouvements) se fait nettement sentir dans une composition que l’excellente Sarah Bayens restitue avec élan, souffle et un « grain » de son très personnel, en parfaite entente avec un partenaire continûment attentif à l’épanouissement des harmonies et aux couleurs d’une partie de piano fournie, aux tournures parfois un peu busoniennes.
Clin d’œil à l’Amérique en bis avec la Romance op. 23 d’Amy Beach, tendre et frémissante sous le bel archet d’une instrumentiste qui n’a décidément pas volé le titre de Jeune Musicienne de l’année que l’Association belge de la presse musicale lui a décerné en 2022.
Précisons que ce concert (doublé à Strasbourg le 26 janvier) s’inscrivait dans le cours d’une saison nationale du Forum Voix Etouffées (1). Elle refera étape à l’Institut Goethe le 27 mars et les 2 et 4 juin.
Alain Cochard
(1) www.voixetouffees.org
Paris, Institut Goethe, 23 janvier 2025
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