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Disparition de Patrick Dupond (1959-2021) – La fougue éclaboussante
Il fut solaire, éblouissant, on ne voyait que lui. De Nîmes à Yokohama, un raz de marée, le pur miracle de la présence. Au Japon, les fans l’appelaient le Delon de la Danse et les Italiennes, dans l’air du soir de Vérone, se pâmaient en murmurant, « che bello »…Et pourtant, que de défauts, du pied un peu lourd au genou mal rentré, et que de fantaisies il se permettait avec la rigueur académique, porté par un irrésistible appel de liberté. Mais il éclipsait tous ceux qui l’entouraient : fabuleux et maléfique lutin Puck du Songe d’une Nuit d’été de John Neumeier, Faune bestial, Prince charmant ou beau ténébreux, Fantôme de l’Opéra ou Apollon Musagète, il émanait de lui un charisme étrange dont la part d’ombre allait ensuite se révéler, aggravée par les multiples déboires d’une vie tourmentée, sauvage, vécue comme une course folle.
© M. Lasch
Cette zone fumeuse de celui qui disait « il » en parlant de lui, et qui, du piaffant poulain de la non moins tempétueuse Claude Bessy à l’Ecole de l’Opéra de Paris, au gentil et touchant personnage médiatique qu’il était devenu, ce fut Maurice Béjart , incomparable attrapeur d’âmes, qui la fit ressortir, en lui brossant un Salomé à l’envers, inspiré du kabuki, où le beau corps glorieux qu’il affichait dans sa danse, se masquait, s’embrouillait peu à peu dans les 7 voiles d’une mortelle hystérie. Il se noyait en lui-même. Il tenta ensuite de diriger d’autres danseurs, au Ballet de Nancy, à l’Opéra de Paris, il brûla sa vie de mille façons, jusqu’à ce que son éclat le quitte, mais pas sa bonté profonde d’enfant douloureux en quête d’identité.
A part Noureev, devenu une sorte d’icône mondiale, il fut, grâce à sa fougue éclaboussante, celui grâce auquel, dans les écoles françaises, les garçons commencèrent à évoquer leur envie de ballet classique, sans passer pour de ridicules efféminés. Il fit ainsi avancer la danse, tandis que lui reculait, et que le miroir du beau gosse renvoyait l’image de Dorian Gray, héros brûlé d’Oscar Wilde. Un long calvaire que l’amour et l’humanité surent lui faire dominer. On l’appelait « l’archange », malgré ses failles. Et on l’aimait. Le voilà sur mars, avec la bénédiction de Saint Jean Chrysostome : « si Dieu nous a donné des pieds, ce n’est pas pour nous en servir honteusement mais pour nous unir un jour au chœur des anges ».
Jacqueline Thuilleux
En souvenir, Les Années Dupond au Ballet Français de Nancy, par Jacqueline Thuilleux, Presses Universitaires de Nancy, 1990
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