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​Don Giovanni au Théâtre des Champs-Elysées – Mozart qu’on eût aimé aimer – Compte rendu

 
Pour cette version de concert de Don Giovanni, Michel Franck, fidèle à ses principes, a voulu faire confiance à la jeune génération et conçu pour ce faire une distribution essentiellement française. Pas de star donc pour attirer le public, mais des artistes en devenir dont certains plus connus que d’autres.

Nous n’attendions ni un épigone de Claudio Abbado, ni un héritier de Georg Solti à la baguette, mais espérions sans doute secrètement être emportés, chavirés ou captivés par Mathieu Romano à la tête des Ambassadeurs-La Grande Ecurie. Sa direction tiède et sans éclat qui cherche le tempo juste au sein d’une narration brouillonne, révèle rapidement les difficultés de l’ouvrage mozartien qu’il ne parvient pas à surmonter. L’exécution musicale n’est pas irréprochable, le rythme se relâche et les instrumentistes, pas toujours en place, laissent s’installer l’ennui au fil des scènes. Le choix de la version originale de Prague (1787) est courageux, mais celui de Vienne aurait peut-être eu plus de sens dans le contexte d’un concert mis en espace de manière aussi simpliste par Mohamed El Mazzouzi.

Le manque de répétition se fait également sentir parmi certains interprètes qui semblent n’avoir travaillé que leurs airs au détriment du reste. Avec une voix un peu lourde et souvent lâche qui rappelle celle de Françoise Pollet, Marion Lebègue est vite dépassée par la tessiture centrale d’Elvira qui maltraite son instrument et la pousse au cri. Insuffisamment préparée, elle en oublie son texte, n’est pas en mesure à plusieurs reprises et ne sait pas respirer où il faut. Marianne Croux maîtrise heureusement davantage le rôle de Donna Anna qu’elle chante sans accroc avec rigueur, puissance (très bel « Or sai chi l’onore »), élégance (virtuose « Non mi dir ») et surtout beaucoup de plaisir. Catherine Trottmann est une délicieuse Zerlina, vive et séduisante, Louis Morvan un Masetto un peu rustre et un Commandeur honorable, mais Cyrille Dubois, appelé à la dernière minute, se montre bien pâlichon en Ottavio qu’il interprète les yeux rivés sur sa tablette, d’une voix fluette et sans projection.

D’abord modeste et presque en retrait dans les premières scènes, Thomas Dolié par sa tranquille assurance, son impeccable détermination et son pouvoir de conviction créé la surprise : diction imparable, sens de la nuance et la répartie, chant au cordeau, son Leporello prend très vite le dessus pour imposer sa marque et s’avérer indispensable dans la plupart des ensembles. Des qualités qui, il faut l’avouer, font défaut à Florian Sempey dont le chant encombré de scories malencontreuses n’a ni la netteté, ni la propreté attendue. Ne sachant pas par quel bout prendre son Don Giovanni, le baryton mise sur la noirceur du personnage, l’arbitraire de ses actes toujours mus par quelque chose d’imprévisible et de non prémédité, au point de s’emporter jusqu’à l’excès dans l’air du Champagne, fâché avec la justesse, avant de frôler la caricature dans la scène finale que l’on aurait aimé plus tenue et moins grandiloquente. Peu, voir pas du tout dirigé, le comédien qui sommeille en lui, rage, trépigne et s’évertue à traduire sommairement cette figure qui aurait mérité d’être dessinée avec plus d’attention.
Une soirée que l’on aurait aimé aimer ...

 
François Lesueur
 

Mozart : Don Giovanni (version 1787, mise en espace) -  Théâtre des Champs-Elysées, 20 janvier 2025 

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