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« Échos des grottes de Mogao » de Tan Dun au Musée Guimet – Célestes émanations – Compte-rendu

 
De même que l’image de Bruno Coulais, excellent et prolixe compositeur français, reste attachée à ses charmantes mélodies nées pour le film Les Choristes, de même celle de Tan Dun, immense artiste, demeure pour beaucoup liée à son Oscar pour Tigre et Dragon. Mais la liste est longue qui fait du compositeur et chef chinois un musicien majeur de notre temps, dont l’inventivité se manifeste et se renouvelle de cent façons – il a d’ailleurs récemment dirigé à la Philharmonie de Paris lors d’une tournée de l’Orchestre Symphonique de Chine. De la symphonie à l’opéra ou à la messe de requiem, de la musique contemporaine la plus austère et conceptuelle, aux couleurs d’un cinéma vitaminé et spectaculaire, Tan Dun, 67 ans, parcourt sa propre Route de la soie, que cette fois, il a ouverte au public du Musée Guimet, venu l’écouter en un concert-spectacle inusité prolongeant l’exposition La Chine des Tang.

 

© Thibault Chapoutot

 
De par la teneur de ses collections le Musée Guimet, certes, plonge toujours le visiteur dans quelque sphère extrême, loin de l’agitation citadine et temporelle, comme une bulle de sérénité. Mais là, le spectacle-concert proposé en création mondiale par Tan Dun conduisait plutôt dans une grotte mystique, évocatrice de siècles de pensées et de quête de l’éveil.
Au fond de l’excellent auditorium, un fond mobile en vidéo, évoquant l’incroyable diversité des grottes de Mogao, à Dun Huang, site prodigieux où des moines  vécurent pendant un millénaire et ornèrent les lieux d’une foule de fresques où se lit l’évolution de l’image bouddhiste autant que le cœur d’un pays à l’imaginaire illimité.
 

© Thibault Chapoutot

 
Le noir sur le plateau : et Tan Dun, assis, raconte. En fait il décrit les instruments de musique avec lesquels il a cherché le chemin antique, à partir de partitions retrouvées dans les grottes : instruments dont certains sont connus de nous, comme pipa et percussions, d’autres comme le bili ou le xiqin peu fréquents dans nos studios. Pour chacun, un musicien spécialiste, dans une tenue précieuse, devant lesquels ondule (ce n’est pas la meilleure partie de la soirée) une ravissante danseuse-musicienne trop moulée dans un pantalon blanc qui évoque quelque image de music-hall, mais un music-hall sacré ! Il faut bien un touche accrocheuse pour compenser la fascinante nudité des sons égrenés, créant un sentiment de riche solitude, et porteur de titres qui emmènent loin de nos repères, Une autre pièce qui s’écoule lentement-lune sur la rivière de l’ouest, ou Sable d’or dispersé. Il faut recueillir là des vibrations émanées de l’intensité des lieux, chargés de pensées extatiques, oublier le temps, et nos gammes… Tan Dun a habilement façonné la succession de ces pièces d’une musicalité quasi hiératique, où rien ne lasse.

 

© Thibault Chapoutot

 
En deuxième partie, saut dans la forme opératique, pour évoquer non plus le sens du son mais la teneur de quelques fresques de Mogao racontant des drames forts : pour le premier de ces petits opéras, la soprano Candice Chung (par ailleurs interprète des grands rôles mozartiens) module en une unique scène soliste, avec de rauques sonorités et des plaintes dramatiques, une folle histoire de Biche aux neuf couleurs, être magique, tuée par l’homme qu’elle a sauvé. Pour le second, le Sutra du Cœur, un musicien, le Mongol Hasibagen, ranime de son jeu inspiré une belle endormie, la Tibétaine Yong Jiangfan, qui parcourt comme lui la Route de la soie. Ils doivent ne faire qu’un, mais pas encore, dans une autre vie, sans doute ! Et tout s’éteint, s’immobilise, tandis que l’on tente d’atterrir. Climat, musiques, tout porte au rêve et l’habileté de Tan Dun est une fois de plus diabolique, ou plutôt céleste…   
 
Jacqueline Thuilleux
 

> Les prochains concerts de musique de chambre en Ile-de-Paris <

Paris, Musée Guimet, 13 décembre 2024

 
Exposition la Chine des Tang, une dynastie cosmopolite(7e-10e siècle) jusqu’au 3 mars 2025 // www.guimet.fr/fr/expositions/la-chine-des-tang

 
Photo © Thibault Chapoutot

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