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Edgar Moreau et David Kadouch inaugurent le Festival de musique de chambre de Perros-Guirec – La Grande Sonate de Rita Strohl en majesté – Compte-rendu
Edgar Moreau et David Kadouch inaugurent le Festival de musique de chambre de Perros-Guirec – La Grande Sonate de Rita Strohl en majesté – Compte-rendu
Trente-quatre ans déjà que le Festival de musique de chambre de Perros-Guirec, créé par la pianiste Catherine Collard, ponctue de concerts classiques, l’été de la Côte de Granit rose, dans le cadre exceptionnel du Palais des Congrès, face à la mer. A travers une grande baie vitrée, voiliers et soleil couchant rivalisent de poésie en guise de fond de scène.
« C’est un hymne à la vie, à la jeunesse, et à la musique » nous annonce-t-on pour une édition 2018 qui se prolonge jusqu’au 22 août. Avec Edgar Moreau (photo à dr.), 25 ans, et David Kadouch (photo à g.), de quelques années son aîné, la promesse se vérifie tout au long de la soirée inaugurale. Les deux musiciens proposent un magnifique programme (paru chez Erato fin janvier), un hommage au si romantique duo violoncelle-piano français.
« C’est un hymne à la vie, à la jeunesse, et à la musique » nous annonce-t-on pour une édition 2018 qui se prolonge jusqu’au 22 août. Avec Edgar Moreau (photo à dr.), 25 ans, et David Kadouch (photo à g.), de quelques années son aîné, la promesse se vérifie tout au long de la soirée inaugurale. Les deux musiciens proposent un magnifique programme (paru chez Erato fin janvier), un hommage au si romantique duo violoncelle-piano français.
© DR
Le concert débute par la célèbre Sonate pour violon et piano de Franck, transcrite pour violoncelle par Jules Delsart. Au commencement, la tessiture grave déroute un peu l’oreille, tellement habituée au timbre du violon pour la fameuse « petite phrase » (dont on dit qu’elle inspira la « Sonate de Vinteuil » à Proust).
Malgré l’engagement immédiat du duo, on est un peu frustré par la sécheresse du son, qui dévoile au grand jour toute la mécanique et les attaques du piano ; l’acoustique du lieu, qui n’est pas une salle de concerts, n’y est sans doute pas étrangère. Heureusement, les instrumentistes trouvent leurs marques dès le deuxième mouvement ; leurs sonorités s’harmonisent et un lyrisme passionné se déploie généreusement jusqu’au terme de l’ouvrage. On adhère complètement à leurs choix d’interprétation, à la fois sobres et intelligents. Les artistes se connaissent bien, dialoguent sans cesse, et respirent ensemble la musique. Le piano de Kadouch est orchestral, la ligne de Moreau extrêmement soignée, le son nourri et vivant.
Les esprits et les cœurs sont captivés pour profiter ensuite de la trop rare Sonate de Poulenc, esquissée en 1940, achevée en 1948, pleine d’esprit et d’humanité. D’esthétique néoclassique, elle offre ses surprises, dont un exceptionnel mouvement lent.
Les deux artistes s’amusent et virevoltent dans une musique spirituelle, séduisante et élégante ; l’heure n’est point au romantisme, mais à une poésie moderne, proche de Satie. Là encore, E. Moreau et D. Kadouch sont chez eux, et interprètent l’œuvre avec une simplicité et une spontanéité qui font plaisir à entendre - et à voir. Lorsque grâce aux interprètes, la musique paraît limpide et si facile…
Après l’entracte, dans les lumières rougeoyantes du couchant, le duo attaque la Grande Sonate dramatique « Titus et Bérénice » de Rita Strohl (1865-1941), compositrice romantique, originaire de Lorient, méconnue du grand public, et que les interprètes sont visiblement heureux de faire découvrir et de défendre.
A l’origine de mélodies (Les Chansons de Bilitis sur des poèmes de Pierre Louÿs), d’une Symphonie de la mer (1902), des Noces Spirituelles de la Vierge Marie (1903), du cycle mystique Suprême Puruscha, Rita Strohl a été fortement marquée par les théories panthéistes et symbolistes. Parmi toutes les curiosités inconnues de son catalogue, figure cette Sonate « Titus et Bérénice » d’après le drame de Racine. Titus est amoureux de Bérénice, mais ne peut la faire sienne, le peuple romain ne pouvant accepter une reine originaire de Judée.
Datée de 1892, l’œuvre surprend par son souffle dramatique, sa très grande expressivité, ses contrastes. Rita Strohl sait varier une écriture qui s’inspire tantôt du piano de Chopin, des rythmes de Schumann, tantôt des harmonies de Liszt et même de Wagner … Le public, saisi, ne s’y trompe pas et ne s’y perd pas. On a tout de la forme sonate traditionnelle, avec un procédé narratif qui ajoute de l’intensité dramatique au propos. Titus sacrifie Bérénice à l’Empire, malgré son amour. La séparation s’accomplit. « Ah cruel ! Par pitié, montre-moi moins d’amour ! ».
A la fin du concert, les musiciens nous confient aimer cette sonate « chaque jour un peu plus » ; ils continuent de l’explorer en nous la donnant à découvrir, et ont ouvert – grâce aux ressources du Palazzetto Bru Zane – un nouveau chant au répertoire français de violoncelle.
Leur bis est une autre découverte : l’Andante espressivo de Fernand de la Tombelle (1854-1928), compositeur qui fut à la fois proche de T. Dubois et de V. d’Indy ; une personnalité singulière si l’on en croit les témoignages d’époque (1). Le concert se referme sur cette pièce noble, sensuelle et sereine. La nuit tombe sur la mer ...
Gaëlle Le Dantec
Le concert débute par la célèbre Sonate pour violon et piano de Franck, transcrite pour violoncelle par Jules Delsart. Au commencement, la tessiture grave déroute un peu l’oreille, tellement habituée au timbre du violon pour la fameuse « petite phrase » (dont on dit qu’elle inspira la « Sonate de Vinteuil » à Proust).
Malgré l’engagement immédiat du duo, on est un peu frustré par la sécheresse du son, qui dévoile au grand jour toute la mécanique et les attaques du piano ; l’acoustique du lieu, qui n’est pas une salle de concerts, n’y est sans doute pas étrangère. Heureusement, les instrumentistes trouvent leurs marques dès le deuxième mouvement ; leurs sonorités s’harmonisent et un lyrisme passionné se déploie généreusement jusqu’au terme de l’ouvrage. On adhère complètement à leurs choix d’interprétation, à la fois sobres et intelligents. Les artistes se connaissent bien, dialoguent sans cesse, et respirent ensemble la musique. Le piano de Kadouch est orchestral, la ligne de Moreau extrêmement soignée, le son nourri et vivant.
Les esprits et les cœurs sont captivés pour profiter ensuite de la trop rare Sonate de Poulenc, esquissée en 1940, achevée en 1948, pleine d’esprit et d’humanité. D’esthétique néoclassique, elle offre ses surprises, dont un exceptionnel mouvement lent.
Les deux artistes s’amusent et virevoltent dans une musique spirituelle, séduisante et élégante ; l’heure n’est point au romantisme, mais à une poésie moderne, proche de Satie. Là encore, E. Moreau et D. Kadouch sont chez eux, et interprètent l’œuvre avec une simplicité et une spontanéité qui font plaisir à entendre - et à voir. Lorsque grâce aux interprètes, la musique paraît limpide et si facile…
Après l’entracte, dans les lumières rougeoyantes du couchant, le duo attaque la Grande Sonate dramatique « Titus et Bérénice » de Rita Strohl (1865-1941), compositrice romantique, originaire de Lorient, méconnue du grand public, et que les interprètes sont visiblement heureux de faire découvrir et de défendre.
A l’origine de mélodies (Les Chansons de Bilitis sur des poèmes de Pierre Louÿs), d’une Symphonie de la mer (1902), des Noces Spirituelles de la Vierge Marie (1903), du cycle mystique Suprême Puruscha, Rita Strohl a été fortement marquée par les théories panthéistes et symbolistes. Parmi toutes les curiosités inconnues de son catalogue, figure cette Sonate « Titus et Bérénice » d’après le drame de Racine. Titus est amoureux de Bérénice, mais ne peut la faire sienne, le peuple romain ne pouvant accepter une reine originaire de Judée.
Datée de 1892, l’œuvre surprend par son souffle dramatique, sa très grande expressivité, ses contrastes. Rita Strohl sait varier une écriture qui s’inspire tantôt du piano de Chopin, des rythmes de Schumann, tantôt des harmonies de Liszt et même de Wagner … Le public, saisi, ne s’y trompe pas et ne s’y perd pas. On a tout de la forme sonate traditionnelle, avec un procédé narratif qui ajoute de l’intensité dramatique au propos. Titus sacrifie Bérénice à l’Empire, malgré son amour. La séparation s’accomplit. « Ah cruel ! Par pitié, montre-moi moins d’amour ! ».
A la fin du concert, les musiciens nous confient aimer cette sonate « chaque jour un peu plus » ; ils continuent de l’explorer en nous la donnant à découvrir, et ont ouvert – grâce aux ressources du Palazzetto Bru Zane – un nouveau chant au répertoire français de violoncelle.
Leur bis est une autre découverte : l’Andante espressivo de Fernand de la Tombelle (1854-1928), compositeur qui fut à la fois proche de T. Dubois et de V. d’Indy ; une personnalité singulière si l’on en croit les témoignages d’époque (1). Le concert se referme sur cette pièce noble, sensuelle et sereine. La nuit tombe sur la mer ...
Gaëlle Le Dantec
(1)Pour en savoir plus sur Fernand de la Tombelle :
a) www.concertclassic.com/article/festival-fernand-de-la-tombelle-du-palazzetto-bru-zane-une-interview-dalexandre-dratwicki
(b) www.bruzanemediabase.com/fre/Fonds-d-archives/Fonds-La-Tombelle
Perros-Guirec, Palais des Congrès, 18 juillet 2018 ; jusqu’au 22 août : www.classique-bretagne.com/festival/festival-de-musique-de-chambre-de-perros-guirec/
Photo © Gregory Favre pour Thomas Nowak Consulting
a) www.concertclassic.com/article/festival-fernand-de-la-tombelle-du-palazzetto-bru-zane-une-interview-dalexandre-dratwicki
(b) www.bruzanemediabase.com/fre/Fonds-d-archives/Fonds-La-Tombelle
Perros-Guirec, Palais des Congrès, 18 juillet 2018 ; jusqu’au 22 août : www.classique-bretagne.com/festival/festival-de-musique-de-chambre-de-perros-guirec/
Photo © Gregory Favre pour Thomas Nowak Consulting
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