Sont-ce les marteaux d’un piano qui ont produit les premières notes de l’Allegretto en ut mineur, D.915 qui ouvre le programme ? Un son comme surgi du silence, débarrassé de toute matérialité. Il est des commencements qui augurent de mémorables soirées…

Avec Schubert, Elisabeth Leonskaja retrouve l’un des compositeurs les plus chers à son cœur, sinon le plus cher. Elle sait comme peu d’autres dire sa poésie et ses drames, avec une parfaite justesse du sentiment. Dans la Sonate D. 664, la « petite » la majeur, l’interprète se méfie des idées trop simples, du lyrisme un peu «gentillet » dont souffre parfois l’œuvre. Tempo retenu, expressivité tout en délicatesse ; ambiguïté d’un demi-sourire derrière lequel sourdent la tristesse et les doutes.

La Wanderer-Fantaisie qui suit offre l’exemple d’une totale transfiguration poétique d’un ouvrage où l’effet et le tape-à-l’œil sont trop souvent de mise. Fantaisie ? C’est bien dans cet esprit que l’artiste explore la partition, en ne perdant jamais de vue l’esprit du lied qui la nourri et en déployant une palette de couleurs infinie – un art du timbre venu d’un autre temps…

Nulle dramatisation inutile, nulle « beethovénisation » du discours, Leonskaja s’attache à faire entendre la voix de Schubert. Dans le silence religieux d’un Amphithéâtre Bastille plein comme un œuf, la Sonate en la majeur, D. 959 offre la plus belle des leçons de style. Dans l’  « orage» de l’Adagio, la violence du sentiment ne se confond jamais avec les décibels : à lui seul ce mouvement résume la pertinence de l’approche et le lyrisme aussi pudique qu’intense avec lequel une très grande du clavier nous confie les secrets Schubert.
En bis, deux impromptus (les D.899 nos 2 et 3) caressés par l’aile d’un ange concluent l’une des grandes soirées de piano de la saison qui s’achève.

Alain Cochard

Paris, Amphithéâtre Bastille, 1er juin 2011

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Photo : DR