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​Elsa Barraine par la Cité des Compositrices à la Bibliothèque nationale de France – Blessure secrète – Compte rendu

 
L’association Elles Women Composers a changé d’appellation et se nomme désormais La Cité des Compositrices. Avec Héloïse Luzzati à sa tête, elle demeure aussi active et enthousiaste dans la poursuite d’une mission qui, côté concerts, a fait de la Salle Ovale de la Bibliothèque nationale de France l’un des lieux privilégiés de son activité à Paris (dans le cadre de la Saison musicale européenne de la BnF & de Radio France). Les mélomanes curieux de programmes sortant des sentiers battus y ont pris leurs habitudes comme l’a démontré l’assistance nombreuse présente pour le portrait d’Elsa Barraine (1910-1999) que proposait une équipe de jeunes interprètes réunissant Marine Chagnon (mezzo), les archets de Raphaëlle Moreau, Camille Fonteneau, Léa Hennino et Héloïse Luzzati, et Célia Oneto Bensaid au piano.
  
 

Elsa Barraine en 1940 © wikipedia.org

Sans oublier Dukas
 

C’est toutefois par une composition archi célèbre, L’Apprenti sorcier de Dukas dans la version pour piano d’Yves Henry, que le concert s’ouvre. En beauté, car cette belle – et redoutable ! – transcription est défendue d’un jeu suggestif et riche en couleurs par Célia Oneto Bensaid. Rien de plus normal que la présence de Dukas quand on sait combien ce maître compta dans la formation d’Elsa Barraine – enfant exceptionnellement douée entrée dès neuf ans au Conservatoire de Paris. Ses précieux conseils l’aidèrent à remporter le Grand Prix de Rome en 1929, à l’orée de ses 20 ans (elle fut la quatrième femme à l’obtenir après Lili Boulanger, Marguerite Canal et Jeanne Leleu). 
 

Célia Oneto Bensaid & Marine Chagnon © Jean Fleuriot
 
Blessure secrète
 
De la période correspondant au séjour de Barraine à la Villa Medicis (1929-1933) au début des années 50 – au lendemain d’une guerre qui avait vu la compositrice, membre du Parti Communiste depuis 1938, s’engager dans la Résistance et prendre l’initiative avec Roger Désormière et Louis Durey du Front national des musiciens en 1941 – le programme offre un bel aperçu de son art. Dès Le Calme, mélodie pour voix et piano de 1931 (sur un texte de la compositrice semble-t-il) une tonalité sombre et inquiète se manifeste, qui semble celer une blessure secrète – « Je me suis brûlée au soleil de son âme » ... On la retrouve dans Nuit dans les chemins du rêve (1930), pour piano solo, morceau très inspiré d’après des vers de Fujiwara no Toshiyuki, que la pianiste restitue avec une grande prégnance expressive. La gravité est à nouveau de mise, pour des motifs plus immédiatement compréhensibles, dans Avis (1944) sur un poème d’Aragon, pièce funèbre et prenante dédiée à la mémoire de Georges Dudach, résistant fusillé en 1942. Plus loin viennent les Quatre chants juifs (1936) dont le fond de tristesse est bien servi par le riche timbre de Marine Chagnon. Il ne manque qu’un peu plus de clarté dans l’articulation pour que la restitution touche pleinement sa cible.
La référence à la culture juive est aussi présente dans la Suite juive pour violon et piano de 1951, triptyque dont Raphaëlle Moreau s’empare, avec la complicité de Célia Oneto Bensaid. Puissamment évocateur, le piano aide la violoniste à cultiver l’ensorcelant et narratif onirisme de la première partie, le mystère du volet médian ou le folklore imaginaire du troisième.
 

© Jean Fleuriot
 
Sensibilité et engagement
 
Après Dukas, deux autres auteurs trouvent place au programme : Louis Durey, avec cinq extraits de son séduisant Bestiaire op. 17 (1954) pour voix et quintette avec piano ; instantanés musicaux que Marine Chagnon restitue avec finesse, et Olivier Messiaen dont la brève et tardive Pièce pour piano et quatuor à cordes (1991), pleine de contrastes, rappelle les liens amicaux (noués au Conservatoire) entre l’auteur des Vingt Regards et la compositrice.
Placée en dernière place afin de réunir toutes les instrumentistes en conclusion, la Pièce en quintette ramène au début des années 1930 (1932 précisément). Une partition magistrale où Barraine semble faire sien le « Je ne suis pas heureuse » d’une héroïne célèbre. Blessure secrète, écrivions-nous plus haut : parfaitement comprise et vécue par des interprètes aussi sensibles qu’engagées.

 

 
Espérons qu’un volume Barraine s’inscrira un jour dans le catalogue de La Boîte à Pépites. Pour l’heure, c’est vers l’Angleterre que le label de la désormais Cité des Compositrices se tourne avec Liza Lehmann (1862-1919) : Lucile Richardot et Anne de Fornel, rejointes pour certaines pièces par Marie-Laure Garnier, Edwin Crossley Mercer et Manon Galy, ont enregistré une anthologie de mélodies. Une heure de poésie et de raffinement dans un jardin anglais ... (1) Une parution qui marquée par un concert le 31 mars prochain à l'INHA. (2)
 
Alain Cochard 
 

(1) 1 CD BAP 11 ; sortie officielle le 28 mars 2025 
 

 (2) www.bnf.fr/fr/agenda/liza-lehmann
 
Paris, Bibliothèque nationale de France, 24 février 2025 // citedescompositrices.com/
 
Photo © Jean Fleuriot

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