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En revenant de Mireille

Signe des temps, Mélisande retourne à l’Opéra Comique alors que Mireille prétend au Palais Garnier. C’est ainsi que les gloires s’inventent de nouveaux destins. Nicolas Joel a voulu faire de Mireille le manifeste de son nouveau mandat, pari risqué que ne peut tenir une partition inégale : Faust eût été un manifeste, Mireille serait presque un alibi. En revenant de Mireille, heureux au fond d’avoir au moins retrouvé le Val d’enfer et le Rhône, ce Gounod sombre et étincelant tombé comme un météore dans la forêt romantique de Novalis, on songeait à ce difficile rapport du théâtre et de l’opéra. Quoi faire de toute une part du répertoire ?

Pour Gérard Mortier la réponse étaient quasiment guerrière : le théâtre, à toutes forces, devait faire place nette, et se substituer aux œuvres si nécessaire. On a encore dans l’œil le désastre électoraliste du Simon Boccanegra selon Johan Simons. Oui, mais même cet implacable passage à tabac faisait à sa manière un vrai spectacle de théâtre. Mais un opéra ? Or Mireille, avec son catholicisme délicat, cette foi des humbles qui agace tellement nos intellectuels (il leur faut au moins Teilhard de Chardin pour accepter l’idée même de Dieu), est un opéra, et au fond un opéra n’est pas forcément un spectacle de théâtre. Il faut en accepter les facilités, les lacunes, pour parvenir, par-delà ces embarras si désagréables aux esprits brillants, à une forme d’émotion que le théâtre ne donne pas, mais que l’opéra fournit avec une générosité qui suffirait à expliquer la vraie popularité qui l’a toujours porté.

Alors qu’à Garnier se donne Mireille, Bastille affiche le Wozzeck ciselé de Marthaler. C’est le grand écart. Cette double programmation d’ouverture de saison semble souligner deux approches inconciliables. Mais il existe une troisième voie dont le pionnier fut certainement Walter Felsenstein. David Freeman et Patrice Chéreau l’ont empruntée les premier, pliant le théâtre aux mouvements de la musique, faisant respirer les corps avec les croches, et aujourd’hui une nouvelle génération de metteurs en scène, Pelly, Sivadier, Py, Alexandre, leur emboîtent le pas ; tous savent lire leur musique, tous voient avec l’oreille. Cela suffit pour que chacun avec sa poésie, son univers, sa langue et sa grammaire, son vocabulaire aient produit de vrais spectacles où l’opéra prétend au théâtre sans rien lui abandonner de sa singularité, renforçant ses mécanismes par sa poésie singulière. Un jour peut-être nous réinventeront-ils jusqu’à Mireille.

Jean-Charles Hoffelé

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Photo : Opéra national de Paris/ A. Poupeney
 

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