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​« Enquête sur Le Fantôme de l’Opéra de Gaston Leroux », par Martine Kahane – Notre-Dame de Garnier – Compte-rendu

 
En 1831, Victor Hugo publiait Notre-Dame de Paris (dont le titre complet était Notre-Dame de Paris. 1482). En 1909, Gaston Leroux écrivit Le Fantôme de l’Opéra, et si l’on considère qu’un édifice parisien en est l’une des protagonistes, sinon le héros, ce roman-là mériterait de s’appeler Notre-Dame de Garnier, en complétant par la date 1882, puisque c’est vers cette époque que l’action se situe. A ce livre, popularisé par ses adaptations cinématographiques et musicales, Martine Kahane, ex-directrice de la Bibliothèque-musée de l’Opéra, a consacré un volume qu’elle présente comme « une enquête sur la genèse du livre, ses sources et inspirations, son écriture et son destin », et qui est surtout la quête d’une passionnée et le fruit d’innombrables heures de recherches et de lecture. Il est en effet évident que, pour rédiger cet ouvrage, Martine Kahane a dû non seulement comparer les différentes versions du Fantôme laissées par Leroux (qui supprima des passages du manuscrit pour la parution en feuilleton quotidien, de septembre 1909 à janvier 1910, et qui supprima des passages du feuilleton pour la parution en un seul volume), mais également lire toutes sortes d’ouvrages consacrés à l’Opéra de Paris, celui de Garnier mais aussi ceux qui l’ont précédé, pour identifier les différents extraits que Leroux s’est appropriés …
 

Gaston Leroux (1868-1927) © DR

Commandé par le journal Le Gaulois (qui publia en parallèle Impressions d’Afrique de Raymond Roussel dans son supplément du dimanche), Le Fantôme de l’Opéra vint, après le succès du Mystère de la chambre jaune et du Parfum de la dame en noir, confirmer Gaston Leroux dans son rôle d’auteur de best-sellers, mais pas seulement dans la veine policière – un encart publicitaire paru en 1910 présentait Le Fantôme comme « Le roman le plus attachant et le plus émotionnant de l’année ». Et comme Arthur Meyer, directeur du Gaulois, était aussi le fondateur du musée Grévin, ce n’est pas un hasard si, lorsqu’on découvre la chambre des supplices, installée par le Fantôme dans les caves du bâtiment de Garnier, « on se croirait au musée Grévin », à l’époque où cette dernière institution présentait les statues de cire des chanteuses et danseuses vedettes de l’Opéra de Paris.

Pour éviter de produire un roman à clef, Leroux sur s’inspirer de situations et de personnages réels, mais il « brouille les pistes, superpose et décalque ». Martine Kahane aide néanmoins le lecteur à discerner les modèles possibles qui se cachent derrière les protagonistes du roman ; à propos de la chute du lustre, causée par le Fantôme, et qui était réellement arrivée en 1896, elle recense tous les incidents et incendies survenus dans les opéras et théâtres de France dans la deuxième moitié du XIXe siècle. Son témoignage personnel rappelle aussi que certains éléments de mobilier et certaines pratiques existaient encore au Palais Garnier dans les années 1970. Martine Kahane explique aussi que ce « marbre sarrancolin » dont Leroux parle souvent doit son nom à une ville des Pyrénées, et que ce marbre rouge fut employé par Garnier pour les colonnes du grand escalier.
 

© DR 

Martine Kahane traque de façon quasi exhaustive les sources « librement employées » par Leroux, qui oublie souvent de mettre des guillemets lorsqu’il cite. On aurait pu souhaiter quelques mots sur le roman Trilby (1894) de George Du Maurier, très peu connu en France, mais dont le Svengali est une source possible pour le Fantôme dans le rôle de professeur de chant ; la difformité du héros aurait pu suggérer un rapprochement avec L’Homme qui rit de Victor Hugo, mais la laideur de Gwynplaine n’est pas un accident de naissance, d’où une problématique différente, liée à la privation d’amour maternel. On songe aussi au Vaisseau fantôme, le Hollandais connaissant, lui, cette rédemption par l’amour à laquelle aspire l’Erik de Leroux, ce prénom étant également présent dans l’œuvre de Wagner.
 

Tout en rendant hommage à Timothée Picard et à son livre Sur les traces d’un fantôme. La civilisation de l’opéra (2016), Martine Kahane évoque plus brièvement les adaptations cinématographiques, nombreuses depuis 1916, et les versions musical, celle d’Andrew Lloyd-Weber n’ayant jamais été donnée en France puisqu’un incendie détruisit les décors du spectacle qu’aurait dû accueillir le Théâtre Mogador en 2016. Y aurait-il une malédiction du Fantôme ? Comme Pierre Boulez, le héros de Leroux avait envie de faire sauter l’Opéra, mais c’est Marcel Landowski qui composa la musique du ballet tiré du roman, chorégraphié par Roland Petit, qui fut présenté au Palais Garnier en 1980. Après Les Misérables en VF (1), le Châtelet voudra-t-il présenter une comédie musicale elle aussi directement liée à Paris ?

Laurent Bury

 

 
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(1) www.concertclassic.com/article/les-miserables-au-chatelet-est-mieux-ici-qua-lopera-compte-rendu
 
Martine Kahane, Enquête sur Le Fantôme de l’Opéra de Gaston Leroux. Classiques Garnier (532 pages, 48 €)

© Gallica / Bibliothèque Nationale de France -  Département des Manuscrits. NAF 28093 (10)

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