Journal
Ernani de Verdi à l’Opéra d’Anvers (à Gand du 11 au 22 janvier) – A trop se presser le citron … — Compte-rendu
Que l’Opera Ballet Vlaanderen souhaite monter Ernani, on le conçoit aisément : après tout, il n’y a pas tant d’opéras ayant pour protagoniste Charles-Quint, natif de Gand, ville où se poursuivra cette série de représentations entamée à Anvers. Que la mise en scène n’en aille pas de soi, on peut aussi le comprendre : le drame hugolien a vieilli (la dernière fois que la Comédie-Française s’y est attaqué, en 2013, c’était sous une forme assez élaguée), et sa version lyrique en aggrave le côté boulevard, avec vieux mari potentiel surprenant deux amants dans la chambre de sa femme. Pour autant, faut-il aller aussi loin que la metteuse en scène Barbora Horáková Joly et, avec la complicité coupable de la cheffe Julia Jones, amputer l’œuvre d’une bonne partie de ses récitatifs pour les remplacer par les monologues d’un personnage supplémentaire, ce qui revient à saucissonner la partition et à en modifier radicalement la conduite ?
© Annemie Augustijns
Verdi n’a jamais eu l’intention d’écrire un singspiel, et ce genre de traitement, hélas de plus en plus à la mode, est par trop cavalier. Si encore ces textes additionnels venaient en renfort du livret : mais non, en l’occurrence, on s’est beaucoup pressé le citron – l’agrume étant une image récurrente dans le soliloque de l’homme en blanc interprété avec conviction par le comédien Johan Leysen, grand habitué des spectacles musicaux – pour produire un texte aussi ésotérique que déconnecté avec Ernani, en une suite de « souvenirs, illusions ou même cauchemars » censés nous révéler la personnalité du héros… Ce côté alambiqué est d’autant plus regrettable que, par ailleurs, sur le plan visuel, la production offre beaucoup de superbes images (à côté d’autres moins réussies, comme cet énorme cœur humain qui trône au centre de la scène et se met à battre bruyamment dans les dernières minutes). Que l’on veuille rompre avec le réalisme illustratif, c’est très bien, mais rien n’impose de charcuter la musique pour autant.
© Annemie Augustijns
Dans ces condition, il est difficile de juger de la prestation de l’orchestre, constamment arrêté dans son élan, réduit à interpréter des tronçons d’une durée variable, le dernier acte étant le seul à sortir à peu près indemne, les grands ciseaux des adaptatrices s’en étant donné à cœur joie auparavant. Ce qui sort de la fosse paraît néanmoins d’une belle qualité, tout comme ce que chantent les chœurs. Parmi les quatre solistes, l’avantage va assez nettement aux clefs de fa. Andreas Bauer Kanabas est un noble Silva, et même si l’on pourrait souhaiter un timbre plus noir, l’interprète n’a rien du vieillard caricatural que l’on voit parfois. Ernesto Petti prête à Charles-Quint une authentique voix de baryton Verdi, il possède le physique avantageux et l’autorité requise.
© Annemie Augustijns
On est d’abord un peu plus réservé face à l’interprète du rôle-titre : Vincenzo Costanzo a l’ardeur d’Hernani, et le ténor en a les couleurs mais, durant la première partie de la représentation, l’émission semble se bloquer pour les notes les plus aiguës qui ne s’épanouissent pas comme on le voudrait, le problème devant moins sensible par la suite. Quant à la titulaire du rôle d’Elvira, elle laisse perplexe : dans « Ernani, involami », Leah Gordon cumule de vilains graves poitrinés et des aigus criés, au vibrato prononcé, caractéristiques qui pourraient peut-être convenir à un tout autre personnage, mais qui semble ici tout à fait déplacées. Là aussi, les graves appuyés deviennent ensuite moins fréquents, mais il reste difficile d’effacer la mauvaise impression initiale.
Laurent Bury
Giuseppe Verdi, Ernani – Anvers, Opéra, 16 décembre,Opéra d’Anvers. Prochaines représentations du 18 au 31 décembre 2022 (Anvers), puis du 11 au 22 janvier 2023 (Gand) // www.operaballet.be/nl/programma/seizoen-2022-2023/ernani
Photo © Annemie Augustijns
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