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Esa-Pekka Salonen, compositeur et chef d’orchestre avec l’Orchestre de Paris – Souffle et mystère – Compte-rendu
Une collaboration régulière rapproche désormais Esa-Pekka Salonen et l’Orchestre de Paris. Le chef finlandais apporte avec lui son art subtil de la programmation. Le programme qu’il vient de diriger en est un parfait exemple : la rencontre entre des musiques d’époque, d’effectif et d’esprit différents se révèle passionnante à mesure que se déroule le fil d’une interprétation pensée à l’échelle de chaque œuvre mais aussi du concert tout entier.
Esa-Pekka Salonen surprend d’emblée avec les Symphonies d’instruments à vents de Stravinsky, qu’il aborde presque avec douceur, à contre-courant de la lecture anguleuse qui prévaut souvent dans cette œuvre – et qui était aussi peu ou prou la sienne quand il l’enregistrait en 1990. Riche de nuances, sa direction sculpte les silences et joue avec les résonances de la Grande Salle Pierre Boulez, cathédrale idéale pour cette musique qui se veut un hommage partagé entre Debussy et Gabrieli. Le côté spectaculaire, le tour de force que représente la partition, passe alors au second plan et la lecture du chef finlandais s’enfonce progressivement dans le mystère.
En deuxième partie de concert, la Deuxième Symphonie de Sibelius répondra très exactement aux Symphonies d’instruments à vent, une parenté inattendue mais rendue très sensible par l’articulation extraordinairement précise qu’Esa-Pekka Salonen demande aux vents, dès l’Allegretto initial. Aucun emportement ne vient surjouer le romantisme dans cette interprétation acérée mais non sans souffle, exploitant toutes les ressources de la dynamique, jouant sur le contraste permanent des ombres et des lumières et n’ayant pas peur – pas plus que chez Stravinsky – d’affronter les abîmes du silence.
Olivier Latry © William Beaucardet
Esa-Pekka Salonen avait placé entre ces deux totems sa propre Sinfonia concertante pour orgue et orchestre, co-commande de l’Orchestre de Paris et donnée ici en première française deux semaines après sa création à Katowice. Ce choix n’a évidemment rien de fortuit, on s’en rendra compte dès les premières mesures : le premier élan de la Sinfonia concertante, porté par les bois, se souvient de Stravinsky, celui précisément des Symphonies d’instruments à vent (mais aussi du Sacre du printemps), ainsi que de Debussy. Ce prélude en forme de pavane est surtout pour le compositeur l’occasion d’un brillant travail d‘illusions, où l’orgue apparaît subrepticement derrière l’orchestre et se livre avec lui à un jeu de miroirs sans fin. Les trois mouvements déroulent alors un dialogue constant du soliste et de l’orchestre, fondé sur des réminiscences musicales (dont une polyphonie de Pérotin dans le finale) et sur un art affirmé de la variation. La musique est généreuse, immédiatement accessible et saisissante. Sa construction en épisodes enchaînés ménage une tension jamais prise en défaut.
Comme pour Stravinsky et Sibelius, chez qui le chef Salonen faisait ressortir les vides et les pleins, le compositeur manie l’art du contraste. En témoigne la fin du tumultueux second mouvement, s’éteignant sur le fil d’une note tenue presque en sourdine. Avec Olivier Latry à la console de l’orgue Rieger de la Philharmonie, Esa-Pekka Salonen trouve un guide exceptionnel – et superbement virtuose – pour explorer les jeux de l’instrument, dans un parfait équilibre avec l’orchestre. Le soliste poursuivra, d’ailleurs, en bis, la démonstration de virtuosité et – surtout – de musicalité avec sa propre transcription du Liebestraum no 3 de Liszt.
Jean-Guillaume Lebrun
Paris, Philharmonie, 26 janvier 2023
Photo © Minna Hatinen – Finnish National Opera and Ballet
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