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Et in Arcadia ego en création à l’Opéra-Comique – Noir et creux – Compte-rendu
L’affiche d’Et in Arcadia ego – dont un coup d’œil rapide ne retient qu’une jeune femme desservie par une hideuse protubérance nasale, sans parler de quelques poils – n’a pas de quoi affoler l’envie ; mocheté visuelle qui est hélas devenue la signature de Favart ... Mais, après tout, la langue de traviole du Comte Ory celait une réjouissante surprise et, avec un peu plus d’informations sur la création annoncée, le spectateur pouvait être intrigué et tenté par la proposition de Phia Ménard, Eric Reinhardt et Christophe Rousset.
L’histoire, nous dit l’argument de Phia Ménard, est « surréaliste comme un conte où chacune et chacun (formule décidément très tendance ndr) pourrait se projeter, un « big-bang intérieur » né d’une tentation faustienne : connaître des décennies avant la date de sa mort. L’histoire de Marguerite résonne d’une voix intérieure, la sienne, et d’un récit au chemin poétique. Le Chœur est la voix de l’espace autant que celle des matières. » Bon, la Mort donc, sujet glissant et éminemment aristocratique ; l’histoire de la littérature en témoigne
© Pierre Grosbois
Reconnaissons à Et in Arcadia ego le mérite de la précision : nous sommes le 8 février 2088 (un dimanche pour qui se donnera la peine de vérifier dans le calendrier universel); Marguerite a 95 ans, mais en a toujours 23 – jeunesse quand tu nous tiens ... – et revoit dans une sorte de précipité toute son existence, de l’enfance jusqu’à l’« inéluctable entonnoir » (sic), conception un tantinet étroite du grand passage, vous l'admettrez.
Ouverture, Enfance, Âge adulte, Vieillesse/Mort : pour décrire ce « récit au chemin poétique » l’écrivain Eric Reinhardt a été appelé à la rescousse et a commis un livret sur diverses musiques de Rameau. « Nous y voilà » : ainsi commence la chose. Nous y voilà, en effet, à l’entame d’un texte d’une platitude et d’une prétention affligeantes. La platitude allant plutôt aux mots déversés sur la musique Rameau – on ne s’attardera pas sur de considérables problèmes de prosodie –, la prétention à ceux projetés sur le rideau de fer pendant les interludes instrumentaux – avec quelques petites fantaisies lettristes pour gogos en sus. Prétention que l’on pourrait considérer avec une relative bienveillance si l’on était convié à un spectacle de théâtreux adolescents en phase de déprime, mais tel n’est pas le cas. « Adulescent » : le néologisme, si adapté à tant d’aspects de notre époque à ventre mou et langage creux, convient assez bien à la puérilité nombriliste d’Et in Arcadia ego.
© Pierre Grosbois
La débauche de moyens techniques annoncée ? La aussi il faut déchanter, car de la symphonie des éléments promise il n’y a pas grand chose à retenir. La fameuse chambre froide n’aura servi qu’à confectionner un immense jouet bleu hésitant entre le lapin et je ne sais quoi et des fleurs géantes. Pendues dans les airs, elles fondent, gouttent et s’affaissent piteusement sous l’œil de Marguerite – qui se mire... dans son miroir ; quelle trouvaille ! – lors du tableau de l’Enfance et de son « jardin onirique congelé » (sic). Pour le reste, enfilage de poncifs scéniques (beaucoup de fumée), éclairage de funérarium et chromophobie généralisée – nous sommes bien en 2018 !
On est d’autant plus triste d'établir ce constat que les interprètes méritent beaucoup d'éloges pour leur travail – et une médaille du mérite pour avoir mémorisé pareil livret sur une musique aussi belle. A commencer évidemment par la formidable Lea Desandre en Marguerite qui, seule sur scène, réalise une assez incroyable performance, vocale et physique. Le public, pourtant très partagé au moment de saluts houleux, ne manque pas de l'applaudir unanimement. Et d’en faire autant pour le chœur Les éléments de Joël Suhubiette et avec Christophe Rousset et ses Talens lyriques pour le soin qu’ils ont apporté aux notes et aux couleurs du grand Jean-Philippe. Heureusement qu’elles étaient là !
On oubliait le moment de l’ « inéluctable entonnoir » : une immense et ridicule baudruche noirâtre se gonfle et prend peu à peu l’allure d’un vers de terre géant, s’apprêtant, on l’imagine, à dévorer les chairs putréfiées de la pauvre Marguerite... Conclusion noire et creuse, à l’image de la soirée.
Acta est fabula.
Pour ce qui est du problème de traduction posé aux latinistes par Et in Arcadia ego – nom d'un célèbre tableau de Poussin – la formule de Paul Valéry fera parfaitement l’affaire : « Le moderne se contente de peu ».
Alain Cochard
« Et in Arcadia ego » - Paris, Opéra-Comique, 1er février ; prochaines représentations les 3, 5, 7, 9 & 11 février 2018 // www.opera-comique.com
Le prochain spectacle de Phia Ménard, Les Os Noirs, est programmé par le Théâtre de la Ville au Théâtre Silvia Monfort du 29 mars au 14 avril : www.theatredelaville-paris.com/spectacle-lesosnoirsphiamenardcompagnienonnova-1230
Photo © Pierre Grosbois
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