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« Être compositrice au Grand Siècle » aux Invalides – Fertilisation croisée – compte rendu
Le sujet est à la mode, et tant mieux : cette année, les compositrices sont décidément à l’honneur. Le Palazzetto Bru Zane leur consacre en partie sa saison et fait paraître un coffret de huit disques rien que pour elles, le label « Présence Compositrices » vient de naître avec un superbe disque Marie Jaëll de Célia Oneto Bensaid, et voilà que la saison musicale des Invalides lance une série de dix concerts à elles dévoués, qui se déploieront – forcément – autour de la Journée internationale des Femmes, le 8 mars. C’est bien sûr surtout au XIXe siècle qu’elles deviennent de plus en plus nombreuses, mais il est assez logique qu’un édifice construit sous Louis XIV s’attache à montrer que, déjà au Grand Siècle, il existait des compositrices, réputées en leur temps.
Grâce aux efforts entrepris depuis plusieurs décennies par Catherine Cessac, on connaît Élisabeth Jacquet (1665-1729), épouse de l’organiste Marin de la Guerre ; depuis sa résurrection à Saint-Etienne et Tourcoing en 1989-90, on a même pu voir plusieurs productions de son unique tragédie lyrique, Céphale et Procris créé en 1694 à l’Académie royale de musique. Pour ce concert, Stéphane Fuget a retenu plusieurs de ses compositions instrumentales ou vocales : suite pour clavecin seul, qu’il interprète lui-même, sonate en trio, pour laquelle il dirige du clavecin cinq instrumentistes de son ensemble Les Épopées, et œuvres vocales, qu’il s’agisse d’extraits de son opéra ou d’une superbe cantate à deux voix, Jephté, tragédie miniature qui se conclut néanmoins par un air joyeux exprimant la docilité du croyant qui se soumet aux exigences de Dieu.
Découverte, en revanche, avec Antonia Bembo (vers 1643 - vers 1715), son aînée d’un peu plus de vingt ans. Cette musicienne vénitienne, ayant perdu son procès contre un mari qui la brutalisait, se réfugia en France où elle obtint la protection de Louis XIV, et une pension lui permettant de vivre avant qu’elle ne se retire dans un couvent. Il est donc assez normal qu’elle ait dédié au roi ses œuvres réunies sous le titre général Produzioni armoniche, consacrate al nome immortale di Luigi XIV il Grande. Ce sont uniquement des œuvres vocales que l’on entend dans ce concert : un hymne en latin, une longue lamentation de la Vierge en italien, une sorte d’air de cour en français, un air tiré de son opéra Ercole amante (1707) …
La musique de cette Française d’adoption reste évidemment très italienne, même si elle ne put rester insensible à l’influence du pays où elle s’était réfugiée. Quant à Élisabeth Jacquet de la Guerre, ses compositions s’inscrivent dans un le prolongement d’un genre lyrique français dont il fut fondé par un Italien exilé. On pourrait aussi parler de fertilisation croisée à propos des deux chanteuses réunies pour l’occasion. Pour beaucoup de mélomanes, Claire Lefilliâtre reste à jamais associée à Cadmus et Hermione, le premier opéra de Lully, ressuscité par Vincent Dumestre et Benjamin Lazar ; si on a pu la voir dans un répertoire plus large, Marie Perbost (photo) n’en excelle pas moins dans la musique baroque.
Ces deux artistes, si différentes dans leur approche, l’une plus droite dans son chant, l’autre plus sensuelle dans l’expression, se rejoignent ici, unissant leurs voix à l’occasion de plusieurs duos, le programme leur donnant aussi la possibilité de briller en solo, bien entendu. Et l’on a ainsi l’impression que chacune aide l’autre à se dépasser, chacune admirant les qualités de l’autre et s’en inspirant un peu. Dans « Domine salvum fac regem » d’Antonia Bembo, Claire Lefilliâtre rappelle à la prononciation française du latin sa consœur qui avait démarré en l’articulant de manière plus ultramontaine ; dans l’air pour deux nymphes de Céphale et Procris, qui sera d’ailleurs repris en bis, Marie Perbost incite sa collègue à plus d’abandon dans ce petit duo galant.
Soutenues par les violonistes Catherine Girard et Sandrine Dupé et par les continuistes Alice Coquart, Agnès Boissonnot-Guilbault et Pierre Rinderknecht, les deux chanteuses auront parcouru une large gamme d’affects, et apporté la preuve que, dès le XVIIe siècle, les compositrices avaient su trouver leur place auprès des mâles dominants. Nul doute que la suite de cette série de concerts le démontrera amplement elle aussi.
Prochains rendez-vous le 6 mars avec le Quatuor Danel et Dana Ciocarlie dans des pages de Fanny Mendelssohn, Edith Canat de Chizy, Clara et Robert Schumann, puis le 13 mars avec le Duo Lupino (Canat de Chizy, Yamazaki, Clarke, Decruck) à 12h30, suivi en soirée par Emmanuelle Bertrand et Pascal Amoyel, pour la Grande Sonate dramatique "Titus et Bérénice" de Rita Strohl entre autres.
Laurent Bury
Paris, Cathédrale Saint-Louis des Invalides, 2 mars 2023 // www.musee-armee.fr/au-programme/saison-musicale-invalides/cycles-concerts-2022-2023/cycle-femmes-compositrices.html
Photo © Pauline Darley
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