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Exposition Opéra ! Trois siècles de création à Nancy - D’art et de lumière
C’est une exposition qui ressemble à sa ville, dont elle entend célébrer l’histoire des plaisirs subtils : on y retrouve la rigueur souveraine, la grâce fine et altière de Nancy. Un champ d’investigations bien plus large qu’il n’y paraît de prime abord, car sous ses airs faussement inoffensifs, l’opéra est un art politique, bien plus encore que le théâtre qui sollicite moins la sensibilité la plus primale.
Bibiena, Décor pour l'Opéra de Nancy sous le duc Léopold, 1er quart du XVIIIe siècle © Opéra national de Lorraine
Conçue par Pierre-Hippolyte Pénet, conservateur au Palais des Ducs de Lorraine et Charles Villeneuve de Janti, directeur du Musée des Beaux-Arts de Nancy, l’exposition se déroule comme un séduisant parcours historique qui jongle avec les concepts artistiques, les réalités politiques, les conflits guerriers, les rivalités de pouvoir, les drames naturels comme les incendies, et passe d’une mise en scène tout à fait théâtrale à la présentation de documents très variés dans leur teneur et provenant pour l’essentiel des collections nancéiennes mais également du Louvre et de la Comédie française.
La salle du nouveau théâtre, première moitié du XXe siècle © J.-Y. Lacôte
En fait elle prend appui sur le centenaire de la création de la salle actuelle, construite en béton par l’architecte Joseph Hornecker, sur concours, et inaugurée en octobre 1919 avec Sigurd de Reyer. Puis elle nous fait remonter le temps jusqu’au Duc Léopold et son épouse Elisabeth-Charlotte d’Orléans, passionnés de danse et d’opéra. Lully, avec son Thésée, trouve sa place dans ces réjouissances qui ont alors lieu dans le Palais ducal. Puis, la richesse des spectacles imposant d’autres normes, une vraie salle voit le jour en 1709, construite par Bibiena, l’une des vedettes de l’architecture du temps. Ensuite vient l’ère Stanislas qui confie à Héré le soin d’ériger une nouvelle salle intégrée dans sa fameuse place, époque d’une somptuosité inouïe. De multiples et prestigieux spectacles s’enchaînent dès lors jusqu’au terrible incendie de 1906, après lequel il faudra tout recommencer.
Turandot (2013) © C2 Images pour Opéra national de Lorraine
Couleurs et rythmes, avec une bonne pointe d’humour, émaillent ce lumineux parcours conçu par les scénographes Maud Lejeune et Emmanuelle Prommier, qui réussit à être vivant en faisant alterner des documents spirituels avec de sages lavis ou croquis : la promenade, donc, se déroule en trois actes, et se veut petite représentation de ce que la vie culturelle nancéienne a déchainé de passions, de chantiers et de moments artistiques que la postérité a su graver. Une vie intense s’en dégage, à coup de portraits d’artistes, de décors, de photos, de maquettes : Fleury, Talma ou mademoiselle Raucourt ont grande mine, tandis que Coquelin et Sarah Bernhardt apparaissent dans toute leur gloire.
Commencée sur les fastes baroques, l’aventure retrouve ses marques avec de fastueux costumes de productions récentes, notamment la Turandot de 2013 et la Semiramide de 2017 (photo). Les casques à grands panaches voisinent avec des images dénudées de danseurs contemporains, le conflit sempiternel entre Metz et Nancy se dessine, un édit cocasse de 1824 mentionne les odeurs méphitiques engendrées par des spectateurs qui se soulagent gaiment dans la salle, et le nain Bébé – 80 cm – voisine avec son imposant maître, Stanislas, cuirassé dans le fameux tableau de Girardet. Le lourd et le léger se combinent pour exciter l’imagination en comblant doucement les lacunes historiques de chacun. Et le goût prévaut, qui fait de la visite un enchantement.
Jacqueline Thuilleux
Opéra ! Trois siècles de création à Nancy – Nancy, Galerie Poirel jusqu’au 24 février 2019 / www.opera-national-lorraine.fr/programme/3-siecles-de-creation-a-nancy
(Catalogue de Pierre-Hippolyte Pénet, Editions Snoeck, 160 pages, 25€)
Photo Sémiramide 2017 (m.e.s. Nicola Raab) © Opéra national de Lorrraine
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