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The Exterminating Angel de Thomas Adès en création française à l’Opéra Bastille – Seuls les anges ont des ailes… – Compte-rendu
Créé à Salzbourg en 2016, The Exterminating Angel est le troisième ouvrage lyrique de Thomas Adès (également auteur de la musique de The Dante Project, ballet de Wayne McGregor présenté au Palais Garnier la saison dernière). Librement inspiré du film éponyme de Luis Buñuel sorti en 1962, il fait son entrée au répertoire de l’Opéra de Paris après avoir été vu à Londres et à New York (DVD Erato) dans une mise en scène de son co-librettiste Tom Cairns. A Paris, le catalan Calixto Bieito en a la charge.
Avec un sujet ouvertement surréaliste, brodé à partir d’un étrange huis-clos, où un petit groupe de bourgeois invités à dîner après une représentation d’opéra se retrouvent dans l’incapacité absolue – et inexplicable – de quitter les lieux, Tom Cairns s’intéressait à illustrer la déroute de ces personnages à la merci d’un ange exterminateur invisible. Contraints de vivre ensemble dans une promiscuité de plus en plus intolérable, perdant leurs repères, puis les convenances pour terminer dans le chaos, ils étaient scrutés dans une panique générale pour que surgisse une fable sociale féroce. Changement de braquet avec Calixto Bieito pour qui cette expérience irrationnelle va vite dévier vers le cauchemardesque, puis dégénérer vers tous les excès.
© Agathe Poupeney - OnP
Là où Tom Cairns se contentait d’évoquer, de faire allusion aux dérives d’une micro-société soumise à d’étranges phénomènes, Calixto Bieito surligne, se fait insistant jusqu’à se complaire dans l’outrance, ne nous faisant grâce d’aucun détail scabreux. Dans cette vaste salle à manger blanche (Anna-Sofia Kirsch signe les décors) aux murs tout d’abord immaculés, rien ne nous sera épargné. A mesure que les convives vont s’exalter et déraper, la sauvagerie s’empare d’eux et les montre sous leurs plus mauvais jours : meurtriers, violeurs, anthropophages, rien n’arrête Calixto Bieito qui les déshabillent, les fait forniquer, se rendre un à un aux toilettes (ou déféquer dans leur caleçon), se faire battre et s’insulter… dans une déroute générale malaisante, à l’opposé de l’univers buñuelien. Libérés de leur « prison » après s’être écharpés et avoir saccagé le mobilier, les survivants se retrouveront seuls et démunis face au public, tandis que les cloches retentissent au loin sur le même tempo qu’au début de l’épreuve, pour rappeler que rien ne changera et qu’ils revivront tôt ou tard la même infortune.
Aucune subtilité donc dans ce spectacle grossier dont le propos exubérant fait redondance avec une partition lourdement composée. Outrageusement massive et compacte, la musique de Thomas Adès, que l’on retrouve en fosse à la tête d’un orchestre maison, rudoyé, s’apparente davantage à un vacarme plus ou moins assourdissant et proche de la cacophonie, qu’à un ouvrage lyrique inspiré. L’orchestration est certes riche, travaillée pour coller au drame, compilant différents emprunts à la valse, aux tambours de Calanda (commune d’Espagne chère à Buñuel), aux cuivres de mariachis mexicains, évoquer Bartók avec la harpe céleste, ou convoquer l’immatérialité grâce aux ondes Martenot, mais on attend en vain d’être touché, transporté, fasciné, écrasés que nous sommes par un niveau sonore élevé dont il est difficile de ressortir indemne.
© Agathe Poupeney - OnP
Les traits qui caractérisent chaque personnage ne sont bien sûr pas tissés dans la dentelle et obligent les interprètes à mettre de côté tous leurs scrupules. Jacquelyn Stucker, maîtresse de maison hystérique, est vocalement sans faille, comme son époux Edmundo confié à l’excellent ténor Nicky Spence ; Christine Rice défend le rôle de Blanca avec dignité, tout comme Amina Edris (Beatriz) et Filipe Manu (Eduardo) amants sacrifiés, ou Frédéric Antoun solide Comte Raul, Jarrett Ott occupant le terrain avec son imposant Colonel Alvaro Gomez, mais que d’outrance et de contorsions vocales pour y parvenir.
Accès de démence, ensorcèlement, fièvre, manoir encerclé par la police, présence de moutons puis d’un ours en peluche, cette communauté transformée en bêtes sauvages ne sera sauvée du désastre que par l’intervention de la cantatrice Laetita, dont le chant perché dans l’extrême aigu (Gloria Tronel insubmersible) finit par vriller les tympans. Quel dommage que le rôle de Silvia chanté avec conviction par Claudia Boyle, ou celui du Senor Russel (Philippe Sly) ne soient pas plus étoffés, à l’image de ces nombreuses silhouettes à peine esquissées dont les interventions paraissent expédiées comme celles des chœurs (préparés par Ching-Lien Wu) répartis dans la salle, magnifiques comme toujours.
François Lesueur
Thomas Adès : The Exterminating Angel – Paris, Opéra Bastille 3 mars ; prochaines représentations 6, 9, 13, 17 & 23 mars 2024 // www.operadeparis.fr/saison-23-24/opera/the-exterminating-angel
Photo © Agathe Poupeney - OnP
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