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Faust selon Tobias Kratzer à l’Opéra Bastille (Streaming) – Damné et cocu — Compte-rendu
@ Monika Rittershaus - OnP
Evidemment, nouvel académisme oblige, on a droit à une transposition d’abord un peu paresseuse dans notre monde d’aujourd’hui, sans transcendance (ni eau bénite, ni église, le « saint lieu » étant remplacé par une rame de métro), mais où, curieusement, il existe encore un diable qui signe des pactes avec les humains. Le vieux Faust – mimé en scène par un comédien, cependant que tout le début du premier acte est chanté sur le côté de la scène par le ténor, comme dans ces représentations où un figurant se substitue sur le plateau à un chanteur hors d’état de jouer son rôle – en a assez de payer très cher des call-girls, d’où son recours à Satan pour retrouver la jeunesse.
Benjamin Bernheim (Faust), Christian Van Horn (Méphistophélès), Sylvie Brunet-Grupposo (Dame Marthe) et Ermonela Jaho (Marguerite) © Monika Rittershaus - OnP
Son vœu est exaucé, mais il lui faudra boire à plusieurs reprises de l’élixir de Méphistophélès, dont le temps d’action semble singulièrement limité dans le temps. Le pauvre Faust n’a pas de chance, car c’est le diable qui passe en premier sur le corps de la « belle enfant », Marguerite’s baby étant sans doute le rejeton du démon, comme le suggère la scène de la chambre, ici devenue scène de l’échographie. Et à la fin, le docteur est carrément supplanté par Siebel, qui s’offre généreusement pour être emmené en enfer en lieu et place de Marguerite. Valentin n’est plus militaire, mais entraîneur de basket, sauf au quatrième acte, où le chœur des soldats est bel et bien chanté par des gaillards en treillis et rangers. Marguerite habite un immeuble avec Marthe pour voisine du dessous, et il faut que Faust soit bien enamouré pour trouver tant « de richesse en cette pauvreté » devant les boîtes aux lettres.
Benjamin Bernheim (Faust), Jean-Yves Chilot (Faust âgé) et Christian Van Horn (Méphistophélès) © Monika Rittershaus - OnP
Musicalement, Lorenzo Viotti conduit avec fluidité l’Orchestre de l’Opéra de Paris. Peut-être faute d’inspiration, Tobias Kratzer se dispense de mettre en scène la kermesse et propose à la place un interminable et assez ridicule vol de Faust et Méphisto au-dessus de Paris by night, procédé qu’il reprend au début d’une Nuit de Walpurgis particulièrement écourtée, privée de ses chœurs, le ballet étant réduit à une seule de ses entrées. Un détail, mais qui confirme une fâcheuse tendance à Bastille : comme on avait besoin de temps pour que Marguerite descende l’escalier menant chez Dame Marthe, les cordes reprennent pendant quelques minutes le thème de l’air des bijoux, pour meubler. Le procédé est moins gênant que Manon farcie de chansons de Josephine Baker il y a un an, mais il semble désormais naïf de croire que le metteur en scène doive s’adapter à la partition : c’est l’inverse qui est devenu vrai.
Lorenzo Viotti © Marcia Lessa
La distribution vocale est belle, incontestablement. Après avoir chanté l’Ur-Faust en concert sous la direction de Christophe Rousset, Benjamin Bernheim (photo) confirme son adéquation au répertoire français, par la qualité de son phrasé et de ses nuances, même si l’on a connu contre-ut de la cavatine plus ample. En Marguerite, Ermonela Jaho retrouve un rôle qui convient à sa voix, après avoir été fourvoyée en Valentine des Huguenots sur cette même scène ; malgré un certain décalage stylistique avec son partenaire, son interprétation reste digne d’admiration. On avait remarqué Christian Van Horn en Narbal dans Les Troyens : son Méphistophélès a toutes les couleurs et toute l’ironie que l’on attend, seul le français étant encore perfectible ici et là. Même affublé d’une sorte de chapeau de cow-boy, Florian Sempey a la noblesse de ligne de Valentin. Sylvie Brunet-Grupposo est une exquise (et luxueuse) Dame Marthe, tandis que Michèle Losier contribue vocalement à faire un vrai protagoniste de Siebel, ici sosie de Harry Potter. Souhaitons que les reprises prévisibles de ce spectacle parviennent à se maintenir à ce même niveau d’excellence musicale.
Laurent BURY
Photo © Monika Rittershaus - OnP
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