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Festival de Verbier – La jeune garde du piano - Compte-rendu
Plus que jamais le piano est roi à Verbier. Certes les concerts de prestige font défiler Gergiev, Terfel, Netrebko, Dessay ou Vengerov, et montrent la qualité des formations locales spécifiques, le Verbier Festival Orchestra et le Verbier Festival Chamber Orchestra, mais on reste admiratif devant un pléthorique défilé de pianistes en récital ou duo avec d’autres musiciens. Aligner en deux semaines Sokolov et Grimaud, Ax et Pressler, Kissin et Leonskaja, pour les stars, fidéliser de nouveaux talents qui sont les grands du futur, faire découvrir les Sudbin, Schwizgebel, Kozhukhin, confirmer de jeunes pianistes aussi attachants qu’Adam Laloum et David Kadouch, voilà une performance qui permet une descente approfondie et terriblement excitante dans les profondeurs du clavier.
Déceptions et éblouissements se succèdent bien évidemment, comme les deux récitals successifs de Khatia Buniatishvili et Jan Lisiecki, aux antipodes l’un de l’autre. Le tout jeune Canadien d’origine polonaise a assurément été lancé trop tôt. On admire sa grâce et son aisance de jeune faon lorsqu’il s’avance et dit son plaisir de jouer à Verbier pour la troisième fois. Mais méforme peut-être, ou gêne due à la chaleur dont il souffrait incontestablement, sa prise de possession du piano a montré plus de dureté que de poésie, de virtuosité que de toucher, et une uniformité un peu monolithique dans les voix, qu’elle fussent celles de la Partita n°1 de Bach, du Nocturne en ut dièse mineur op posth. et du 15ème Prélude de Chopin, et surtout des Douze Etudes op 10, enchaînées sans graduation, avec une vigueur remarquable mais vide de sens. La technique du jeune homme reste certes confondante, porteuse de l’enseignement de l’Ecole Glenn Gould à Toronto, où il étudie encore, mais on attend qu’elle porte véritablement ses fruits. On en a eu un exemple dans ses deux bis, consacrés à deux Etudes de l’Opus 25 de Chopin, beaucoup plus abouties et riches d’une émotion qui n’avait guère porté son concert.
Mais, il faut le reconnaître, il n’a pas eu la partie facile en succédant à Khatia Buniatishvili (photo), laquelle avait subjugué l’auditoire de sa finesse et de sa délicatesse, puis de ses déferlantes hallucinées, pourtant inscrites dans une démarche logique totalement maîtrisée, même si la jeune artiste est l’image même de l’inspiration romantique. Tel Liszt sans doute, elle crée des variations de couleurs, de sonorités, des atmosphères recueillies ou flamboyantes qui secouent l’auditeur. Ce n’est plus un piano qu’elle balaie, mais un orchestre. On se souviendra longtemps des Tableaux d’une exposition, d’une richesse digne d’un spectacle des Ballets Russes, avec en support, ce petit battement de cœur qu’elle fait si bien ressortir dans la Promenade et entraîne une douce et inquiétante mélancolie. Magnifiques Scherzi nos 2 et 3 de Chopin, fabuleuse interprétation de la transcription lisztienne du Roi des Aulnes, dont la voix cristalline perçait dans le grondement de la galopade avec une bizarre transparence, au point de faire - presque - oublier l’original de Schubert. On a juste été un peu surpris par sa vision de La Valse de Ravel, compositeur vers lequel son toucher subtil l’oriente désormais. Un vrai grondement, un bal de déments s’ouvrant comme un abîme, pour un Ravel qui sentait son Prokofiev, sur lequel elle a d’ailleurs enchaîné avec la Toccata, en bis. Comme chauffée à blanc. Rhapsodique Buniatishvili, qui réveille les partitions, et transforme la perception que nous en avons.
Jacqueline Thuilleux
Verbier, église, le 25 juillet 2013
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Photo : Khatia Buniatishvilli @ Esther Haase
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