Créé à l’initiative d’Amaury du Clausel, le Forum Voix Etouffées contribue depuis 2002 à la diffusion de la musique de compositeurs victimes du nazisme. L’installation du Forum Voix Etouffées à Strasbourg et l’ouverture en son sein du Centre Européen de la Musique et du Totalitarisme s’accompagne d’un festival à forte connotation européenne, partagé entre la capitale alsacienne et Paris du 27 janvier au 7 février. A quelques jours de son ouverture, Amaury du Closel répond à concertclassic.

Qu’est-ce qui vous a incité à vous lancer, il y a dix ans, dans l’aventure du Forum Voix Etouffées ?

Amaury du CLOSEL : Je m’intéresse à ces musiques depuis la période de mes études. Ayant travaillé de Max Deutsch, un ancien élève de Schönberg, j’ai été sensibilisé à la culture d’Europe centrale et à la modernité du XXe siècle. A partir du début des années 1980, j’ai découvert des œuvres formidables de compositeurs dont les noms m’étaient inconnus et qui n’étaient pas du tout joués. Ils avaient été victimes du nazisme, parce que juifs le plus souvent, en tout cas parce que leur musique étaient considérée comme « dégénérée ». Pendant des années j’ai joué ces musiques, j’ai réalisé des enregistrements. A la fin des années 1990 j’ai constaté que la situation de tous ces auteurs oubliés n’avait pas vraiment évolué et j’ai alors décidé d’écrire un livre (« Les Voix étouffées du Troisième Reich/ Ed. Actes Sud, ndlr). Dans la foulée j’ai créé en 2002 le Forum Voix Etouffées dont le but était de programmer, de jouer des œuvres de compositeurs victimes du nazisme et j’ai du coup créé un ensemble ad hoc qui interprète exclusivement ce répertoire.

L’Ensemble Voix Etouffées est né en 2005 et nous avons depuis fait de nombreuses tournées en France, mais aussi en Europe, avec des partenariats tels que le Musée d’Auschwitz, plusieurs institutions juives d’Europe centrale, etc., sans pour autant que cela relève d’un propos communautaire. Voilà en quelques mots les origines du Forum Voix Etouffées.

Comment les choses s’articulent-elles entre le Forum Voix Etouffées et le CEMUT (Centre Européen d’Etude de la Musique et du Totalitarisme) qui s’ouvre à Strasbourg ?

A.d.C. : Le CEMUT est le résultat de l’installation à Strasbourg du Forum Voix Etouffées. La Ville de Strasbourg manifeste un très grand intérêt à notre installation puisqu’elle la favorise de manière extrêmement efficace et, par ailleurs, sa volonté, comme celle de l’Union Européenne qui nous aide, est que nous nous intéressions à l’ensemble des totalitarismes européens du XXe siècle. Profitant de cette installation qui va nous donner une pérennité, une visibilité et une institutionnalisation certaines, nous avons décidé de créer une sorte de département interne au Forum Voix Etouffées qui est identifié pour son travail sur le nazisme : le Centre Européen d’Etude de la Musique et du Totalitarisme. Le CEMUT s’occupera plutôt (par le biais de colloques, de travaux scientifiques, de publications) du rapport entre la création musicale et les régimes autoritaires, la manière dont la censure se produit, les compositeurs qui en ont été historiquement victimes, qu’il s’agisse du nazisme ou des divers régimes communistes européens, mais il pourra aussi s’intéresser à une période plus récente, voire à l’actualité (Amérique latine, Iran, etc.).

Quel est le profil général du Festival «  Des Orchestres pour la Mémoire/ Musique interdites » qui se déroule du 27 janvier au 7 février entre Strasbourg et Paris ?

A.d.C. : L’idée de départ était de réunir plusieurs partenaires européens. Entre Strasbourg et Paris, quatre orchestres sont impliqués : la Nouvelle Philharmonie de Chambre Juive de Dresde, L’Orchestre Roumain des Jeunes, le 1. Frauen-KammerOrchester de Vienne et l’Ensemble Voix Etouffées. Ces quatre formations se partagent les concerts, de façon un peu inéquitable il est vrai car nous nous concentrons encore beaucoup sur des compositeurs victimes du nazisme ; je songe à Ernst Toch, ou à Viktor Ullman et Arnold Schoenberg que le concert inaugural du 27 (repris à Ivry-sur-Seine le 29) réunit car ils ont tous deux abordé la thématique du despotisme, l’un avec Der Kaiser von Atlantis – un ouvrage écrit au camp de Terezin, avant le transfert de Ullman à Auschwitz où il fut assassiné en 1944 -, l’autre avec l’Ode à Napoléon.

Mais la programmation fait aussi place à des compositeurs qui ont vécu sous le boisseau du communisme : Arvo Pärt, obligé de s’exiler pour des raisons à la fois stylistiques et religieuses, ou Chostakovitch, très marqué par le stalinisme d’abord, puis par toutes les pressions qu’il a pu subir jusqu’à sa mort. Avec Constantin Silvestri nous avons par ailleurs un représentant de l’école roumaine qui a dû s’exiler en Angleterre à la fin des années 1950 car son esthétique était jugée contraire aux règles du réalisme socialiste par les autorités roumaines.

C’est déjà là une première manière d’affirmer la diversité d’intérêts qui nous anime, d’élargir la palette des compositeurs présentés et ce dans des formes les plus variées possibles. Nous ne voulons surtout pas donner l’impression qu’on va avoir de la musique derrière les barbelés, avec une atmosphère mortifère où tout le monde se bat la coulpe ou verse des larmes. L’Empereur d’Atlantide contient du jazz, les pièces de Silvestri sont très joyeuses, la musique de Toch est d’une vitalité incroyable, et nous proposons aussi un cinéconcert avec les musiques de Chostakovitch pour La Nouvelle Babylone de Kozintsev et Trauberg.

Propos recueillis par Alain Cochard, le mercredi 18 janvier 2012

Festival « Des Orchestres pour la Mémoire/ Musique interdites »
Du 27 janvier au 7 février 2012
Strasbourg (27, 28, 31 janvier, 2 et 3 février)
Paris (28 janvier, 1er et 7 février)
Ivry-sur-Seine (29 janvier)
Programme détaillé sur : www.voixetouffées.org

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Photo : DR