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Festival Manca 2012 - Sous le signe de « Déserts » - Compte-rendu

Varèse avait fait scandale avec la création de Déserts, en 1954 au Théâtre des Champs Elysées. Ce sont les « conditions » de celle-ci que le collectif Manké - sorte de off greffé sur le Festival Manca - a voulu reproduire dans la salle de l'Opéra de Nice, reprenant scrupuleusement les invectives lancées lors de la première. Et ce sont cette fois les chahuteurs qui se sont fait chahuter, esquissant au passage une intéressante évolution des mœurs mélomanes. L'initiative, loin de rafraîchir la partition, l'enterre dans une reconstitution muséophonique, confirmée par la restauration – nécessaire – des bandes. Pourtant si l’ouvrage a indéniablement vieilli en même temps que sa technique, ce sont justement ces intermèdes controversés qui condensent toute sa poésie urbaine et cinématographique. On n'en peut que davantage regretter la perturbation du happening, lequel d'ailleurs n'aide pas le Philharmonique de Nice, peu rompu à la difficile exécution de ce répertoire, même emmené par la battue imperturbablement claire et précise de Pierre-André Valade.

En première partie de ce concert mettant l'orchestre à l'honneur, Nirvana de Shuya Xu oppose le compact statisme des cordes à des extases éthérées, sur lesquelles s'achèvent la page. L'élève a été inspiré par le maître, à en juger par le Sonoris causa d'Ivo Malec. Ce manifeste énoncé par son seul nom galbe les cordes comme un envol immobilisé dans la glaise, figées dans une motorique progression par glissandi pesants, avec laquelle contrastent des éclats de timbre.

De musique mixte il va être question le lendemain, en format de chambre, avec l'ensemble L'Instant donné et deux créations au Théâtre de la Photographie et de l'Image Charles Nègre : Hypérion, de Vincent-Raphaël Carinola, et Parages, de Raphaèle Biston (photo), commandes de l'Etat produites respectivement par Césaré et le Cirm, centres nationaux de création musicale de Reims et de Nice. La première pièce assume sa composition éclatée. Juxtaposition de fragments sollicitant les registres extrêmes des instruments mêlés de sons enregistrés diffusés en octophonie, elle distille pendant quarante-cinq minutes une atmosphère citadine et nocturne à la trame un peu lâche. Efficace, la spatialisation semble avouer la nature plus performative qu'exclusivement musicale de l'installation.

Avec un matériel similaire – un piano en plus, quelques percussions différentes et une diffusion sonore moins complexe – Parages de Raphaèle Biston s'inscrit dans une démarche radicalement autre. La succession d'épisodes instrumentaux et électroacoustiques rappelle l'architecture de Déserts – trois sections et deux intermèdes contre quatre et trois chez Varèse – à ceci près que les premières dialoguent avec un substrat préenregistré qui fonctionne comme des « parages » vis-à-vis de ce que jouent les solistes. Ce jeu entre centre et périphérie thématique nourrit l'ensemble de l'œuvre, redoublant parfois les sons naturels de telle sorte qu'on les croirait transformés en temps réel par quelque informatique musicale. Structurée par une pulsation à la fois évolutive et reconnaissable, l'œuvre, d'une durée de vingt-cinq minutes – autre similitude avec Déserts –, témoigne d'un remarquable sens de la construction, et d'une maîtrise des paramètres musicaux qui ne l'est pas moins. Dans cette filiation avouée, la partition sait renouveler l'héritage varésien, en lui donnant une fraîcheur authentiquement contemporaine que l'on verrait bien devenir rapidement un classique. Le Cirm et le Festival Manca fournissent ici un bel exemple de convergence entre création et répertoire.

Gilles Charlassier

Opéra de Nice, 17 novembre 2012 ; Théâtre de la Photographie et de l'Image Charles Nègre, Nice, 18 novembre 2012

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Photo : DR
 

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