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Festival Toulouse les Orgues 2024 – Le duo sous toutes ses formes – Compte-rendu
Créé en 1996, le Festival Toulouse les Orgues, comme toute grande institution musicale, a évolué au fil des ans. Sa durée – près de trois semaines aux heures les plus fastes – est aujourd’hui moindre, mais ce qui n’a jamais varié, c’est la qualité, la diversité et l’inventivité des programmes, sous la houlette depuis 2014 d’Yves Rechsteiner, son directeur artistique. Offre et durée (2-13 octobre) sont enrichies par l’avant-festival « en Métropole et en Région » (27-29 septembre) et le postlude à Saint-Savin (Hautes-Pyrénées, 19 octobre) : Tempus flexibile, Arnaud de Pasquale à l’orgue et Tiago Simas Freire au cornet à bouquin.
L’ouverture proprement dite – Les Planètes de Holst par Isabelle Demers et Yuan Shen sur le Cavaillé-Coll de Saint-Sernin – était précédée, la veille, d’un « Concert pour les étudiants » : orgue et musique de film par Wanying Lin sur le Cavaillé-Coll du Gesu, siège de TLO. Il faut y ajouter les « Ateliers & moments conviviaux du Festival » : séances de yoga avec orgue, découverte pratique de l’instrument avec Giulio Tosti, initiation à « l’acoustique des tuyaux d’orgue » par Roman Auvray, docteur en acoustique.
14e Concours international d’Orgue de Toulouse
Cerise sur le gâteau – tous les trois ans –, se tenait cette année du 1er au 5 octobre le 14e Concours international d’Orgue de Toulouse (1), naguère nommé d’après son créateur (1981) : Xavier Darasse. Sous sa forme actuelle, il propose aux candidats – 69 en 2024 – un programme libre sur l’instrument toulousain de leur choix (2), un seul étant couronné dans chacune des trois catégories : Fabrizio Guidi (Italie), orgue baroque ; William Fielding (Grande-Bretagne), orgue symphonique ; Alexis Grizard (France), orgue du XXe siècle. Invité à voter, le public a de son côté décerné deux « coups de cœur » : William Fielding pour l’orgue symphonique et Mio Kuriyama (Japon) pour l’orgue du XXe siècle.
Sophie-Véronique Cauchefer-Choplin © Clément Fumey – Toulouse Magazine
Le duo pour fil rouge
Le fil rouge de TLO 2024 tient en un mot, décliné avec curiosité : duo. Double Expression, Ophélie Gaillard au violoncelle et Emmanuel Pélaprat à « l’harmonium d’art » (ou « orgue expressif ») ; Récit, Emmanuel Arakélian à l’orgue des Chartreux et Salomé Gasselin à la viole de gambe ; BD-Concert, improvisation musicale et graphique, une première à TLO, par Niklas Jahn à la Daurade et le dessinateur Jules Stromboni ; Fables en musique, avec Paul Goussot improvisant aux Chartreux et Pierre-Alain Clerc, lui-même organiste, expert en rhétorique et poésie ; Échos des Alpes, Carlo Torlontano au cor des Alpes, Francesco di Lernia à l’orgue de Sant-Exupère ; Impressions symphoniques (à la française), Odile Foulliaron à la harpe et Sacha Dhénin à l’orgue du temple du Salin ; La Nuit des Duels à Saint-Sernin : Battle autour d’une Toccata ; clôture à la Dalbade : Mars, dieu de la guerre, Vincent Thévenaz jouant le Puget avec les Cuivres de l’Orchestre du Capitole …
Ben Van Gelder & Kit Downes © Clément Fumey – Toulouse Magazine
Cinéma, jazz, orgue et voix
Le cinéma fut de nouveau à l’honneur au Salin (comble au point de devoir refuser du public) : Sophie-Véronique Cauchefer-Choplin à l’orgue Daldosso, Philippe Cauchefer au violoncelle, Alice Varenne récitante et diseuse sensible. Après une élégante mise en oreille : Suite baroque du Québécois Denis Bédard, furent évoqués, transcrits et adaptés avec panache par SVCC pour leur duo, les univers d’Ennio Morricone, Philippe Sarde, Sébastien Mouche, François de Roubaix, Michel Legrand, Vladimir Cosma, Georges Delerue… Proportions et acoustique, hauteur de la tribune pour une vibrante projection du violoncelle, toutes les conditions étaient réunies pour offrir un équilibre parfait, la diversité et la beauté des climats – et des textes, dont un extrait des Lettres d’amour d’un soldat de 20 ans de Jacques Higelin – faisant de cette suite d’évocations un spectacle complet : immense succès !
L’une des « Nuits du Gesu », à deux pas du Salin, prolongea la soirée : Manifold (titre de leur CD de 2023, Dox Records) par le saxophoniste néerlandais Ben Van Gelder et l’inclassable pianiste et organiste britannique Kit Downes, programme dont la seule étiquette « jazz » aurait du mal à rendre compte. Formidables virtuoses sans contrainte, maîtres de l’écoulement du temps et de la fusion des timbres, ils offrirent une heure de pure beauté sonore, d’une richesse (influences éclatées de Messiaen à Coltrane) au service d’une dramaturgie envoûtante, associant l’esprit de l’improvisation, avec lyrisme et énergie, à une maîtrise formelle puissamment construite, mais en toute liberté.
Laurens de Man © Clément Fumey – Toulouse Magazine
On entendit le lendemain un rare et splendide instrument : le Daublaine-Callinet–Lieberknecht & Poirier (1845-1857) de Saint-Nicolas, où TLO ne vient qu’occasionnellement – dommage ! Le claviériste néerlandais Laurens de Man, prenant un immense plaisir à mettre en valeur une palette chatoyante assortie d’un éclatant chœur d’anches, et le baryton Ben Kazez, originaire de l’Ohio et formé à Londres, y distillèrent un parcours original et séduisant : Ode à Marie.
Tout en contrastes, celui-ci prend sa source dans le Livre Vermeil de Montserrat et le Magnificat selon Bach, bifurque vers Reger et Schubert, puis un florilège français riche en raretés : grandiose Sortie pour les fêtes de la Sainte Vierge de Guilmant, Trois prières de Jean Langlais, occasion d’apprécier le français impeccable de Ben Kazez, Deux pièces pour orgue op. 158 du même, poétiques à souhait à ces claviers : Adoration et Prélude dans le style ancien, enfin – sortant avec esprit et verve du cadre marial, surtout la Chanson à boire finale – Don Quichotte à Dulcinée de Ravel, l’orgue autorisant une instrumentation parfaitement ravélienne et de haute volée. Priez pour Paix de Poulenc calma le jeu, avant que Dupré ne fasse resplendir une dernière fois solistes et orgue : Ave maris stella, des 15 versets pour les Vêpres du Commun de la Sainte Vierge op. 18, dont le Final couronna avec grandeur ce très beau moment musical.
L'orgue Kern de Saint-Etienne © Clément Fumey – Toulouse Magazine
Bach à la française
Les concerts résultant de rencontres singulières vont bien sûr de pair avec le « grand » répertoire. Ainsi François Ménissier, lauréat en 1981 du Concours Bach de Toulouse, offrit-il à Saint-Étienne un magistral « Bach et l’inspiration française », source vivifiante du rythme interne de ce récital d’apparat. Prélude en mi bémol BWV 552 en guise de propylées, rythme d’ouverture à la française oblige : si François Ménissier déploie une maîtrise superlative qui toujours respire la sérénité, celle-ci est en constant dialogue avec une vivacité prenant tous les risques (fulgurance des divertissements du BWV 552), une grandeur, une élévation et une ferveur conquérantes. Aria transcrite de Couperin, registrée et « vocalisée » avec art, équilibre parfait et densité des voix ; insigne profondeur de la Fantaisie BWV 562 ; altière mais dynamique déploration du Choral Près des fleuves de Babylone BWV 653 ; Pièce d’orgue BWV 572 aux mouvements extérieurs irrésistibles d’allant, Gravement central pure éloquence.
Les tribunes qu’il a occupées ou dessert encore (résonnent les noms de Silbermann et Clicquot) ont nourri la plénitude d’un jeu spirituellement en phase avec l’esthétique du temps évoqué : Cromorne en taille à deux parties stylé et prenant de Grigny, Sonate en trio n°3 de Bach, d’une texture pouvant évoquer un Couperin chambriste par la légèreté (nourrie !), l’élégance et l’absolu raffinement. Chaque pièce du programme, scansion, articulation et agogique mêlées, affirme une manière des plus personnelles, stimulante et renouvelant l’écoute.
Apogée de la soirée : Trio en passacaille de Raison, où Bach pourrait avoir puisé son thème, puis Passacaille et thème fugué BWV 582, d’une folle audace d’approche, d’emblée sur les seules anches et mutations, jusqu’à la toute fin (de rares moments des variations s’en affranchirent), jouant avec superbe des plans sonores et de la palette au service d’une communicative exaltation – sous la surface couve toujours le feu. L’admirable Kern (1976) de la cathédrale était l’instrument idéal, idéalement préparé par Jean Daldosso, en particulier les anches, condition sine qua non. Étourdissant !
Hervé Suhubiette © Clément Fumey – Toulouse Magazine
Jeune public – et pourquoi pas ?
TLO sans jeune public ne serait pas TLO. Captivant et subtil, le spectacle Et pourquoi pas ! du ténor Hervé Suhubiette, avec son alter ego Philippe Gelda à l’orgue mobile « L’Explorateur » d’Yves Rechsteiner, conviait au Gesu à une escapade vers un imaginaire poétique – imaginer l’impossible. Textes et musiques sont principalement des interprètes, avec un joli emprunt à Robert Desnos, mis en musique par Joseph Kosma, qui cerne bien l’esprit de cette délicieuse création : « Une fourmi de dix-huit mètres. Avec un chapeau sur la tête. Ca n’existe pas, ça n’existe pas. Et pourquoi pas ? ».
Rendez-vous en 2025 pour fêter en beauté la 30e édition de Toulouse les Orgue !
Michel Roubinet
> Voir les prochains concerts en région Midi-Pyrénées <
Festival Toulouse les Orgues, concerts des 10, 11 et 12 octobre 2024
toulouse-les-orgues.org/wp-content/uploads/2024/09/Programme-general-TLO-2024.pdf
(1) 14ème Concours international d’Orgue de Toulouse
toulouse-les-orgues.org/concours/presentation/
toulouse-les-orgues.org/wp-content/uploads/2023/12/TLO_concours_fran_2024_final.pdf
(2) https://www.concertclassic.com/article/les-orgues-de-toulouse-un-patrimoine-dune-diversite-unique-en-europe
Photo : Orgue Daublaine-Callinet–Lieberknecht & Poirier (1845-1857) de Saint-Nicolas © Clément Fumey – Toulouse Magazine
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