Journal
Florian Helgath dirige le Chœur de Radio France – Requiem de Duruflé avec Yves Castagnet à l'orgue Grenzing – Compte-rendu
Les 10 et 12 décembre 2015, avec l'Orchestre National puis comme soutien du Chœur et de la Maîtrise de Radio France (1) – aux claviers de la console mobile : Vincent Warnier puis Denis Comtet –, le public parisien avait pu se faire une première idée du nouvel orgue Grenzing de l'Auditorium, alors harmonisé aux deux tiers. Bien que l'inauguration officielle ne soit prévue que pour les 7, 8 et 9 mai prochains, parallèlement à la manifestation d'Orgue en France Le Jour de l'Orgue (2), le Grenzing est désormais presque entièrement utilisable, à quelques jeux près, travail d'harmonisation et révision de certaines composantes au bénéfice d'une projection optimisée du son étant sur le point d'être parachevés.
Sans doute la comparaison et plus encore l'opposition entre le Rieger de la Philharmonie et le Grenzing de la Radio ont-elles de beaux jours devant elles. En réalité, ces deux monuments de la facture européenne sont tout simplement différents, non pas tant par leur conception ou leur esthétique, contemporaine et polyvalente, que par leur positionnement, leur environnement et la manière dont les timbres s'y déploient. Disons d'emblée que le Rieger séduit davantage par son éclatante présence et l'ultra-magnificence de sa palette. Il est vrai qu'il résonne dans une salle immense dont l'acoustique est incontestablement en sa faveur. Il en va différemment pour le Grenzing de l'Auditorium de Radio France (quelque mille places de moins que dans la grande salle de la Philharmonie), chaudement revêtu d'un élégant parement de bois. Est-ce la qualité des matériaux (à la manière des églises de bois d'Europe septentrionale, dont les orgues sonnent de manière si nette et peu réverbérée, parfois presque assourdie – du moins à nos oreilles, habituées aux voûtes de pierre pour ce qui est des églises), les proportions de la salle, son caractère à certains égards intimiste ou l'emplacement du Grenzing, qui ne pourrait bénéficier pleinement de la « lentille réfléchissante, dite canopy » (3) ? Toujours est-il que l'orgue y sonne de façon infiniment moins conquérante que celui de la Philharmonie, en dépit de toutes les beautés de sa non moins riche palette. Force est de dire que, en l'état et après trois concerts, on ressent une petite déception.
L'œuvre intermédiaire du concert du 17 février – qui sera diffusé sur France Musique le 14 avril 2016 à 14 heures – en fit l'indéniable démonstration, mettant d'ailleurs en valeur ce qui dans ce Grenzing est de toute beauté : le délié des jeux de fonds, notamment, d'une belle présence, lumineuse et idéalement articulée, qualité indispensable au Prélude et Fugue sur le nom d'Alain de Maurice Duruflé qu'interpréta Yves Castagnet, parfait virtuose et connaisseur de cette période de l'orgue français : la première moitié du XXe siècle. Les possibilités dynamiques sont également remarquables, de la nuance la plus infime jusqu'au tutti – en lui-même sonore, mais dont l'impact manque de mordant, comme si la puissance (pourtant réelle) demeurait feutrée, cohérente et harmonieuse mais privée de ce surcroît d'éclat qui immédiatement saisit l'auditeur, à certains moments un peu « sourde » et ronde à la manière des orgues orchestrales des salles et town halls d'Angleterre : l'élégance et le raffinement au prix d'un certain retrait.
De Maurice Duruflé furent au préalable proposés les Quatre Motets sur des thèmes grégoriens op. 10 (1960, a cappella), par le Chœur de Radio France dirigé par Florian Helgath. Ces miniatures, purs chefs-d'œuvre, retentirent de manière singulière, le Chœur s'y affirmant tel une formation de culture symphonique dont l'approche diffère sensiblement de celle des chœurs « de chambre » ou « de chapelle » rompus au grégorien, le plus souvent entendus dans ces pièces – sans escamoter la moindre nuance ou intention, pourtant sur des tempos particulièrement enlevés dans Tota pulchra es et Tu es Petrus (n°2 et 3). La pièce maîtresse du concert, comme du catalogue de Maurice Duruflé, était bien sûr le Requiem op. 9, achevé en 1947 dans sa version originale avec orchestre et orgue. C'est la deuxième version (1948) qui en était proposée, où l'orgue-roi se substitue à l'orchestre pour assumer seul l'accompagnement de l'œuvre, ni tragique, ni théâtrale, mais d'une sincérité et d'une profondeur atemporelles (trois autres versions avec orchestre seul puis orchestre réduit devaient suivre en 1950, 1961 et 1970).
Le Chœur de Radio France, dans un même esprit que pour les Quatre Motets mais d'autant plus en situation qu'il s'agit d'une partition majeure du répertoire sacré du XXe siècle, s'y montra puissamment dans son élément, d'un engagement intense et d'une force d'évocation répondant aux richesses de la partition, dirigée avec respect, émotion et une certaine distance par Florian Helgath. Des deux solistes issus du chœur, il est vrai que Daïa Durimel, alto solo du Pie Jesu, clé de voûte sensible de ce Requiem mais d'une redoutable brièveté, n'eut guère le temps de s'imposer réellement, la voix « consolante » ne trouvant qu'à mi-parcours ses véritables marques. La voix de baryton est davantage sollicitée par Duruflé (Domine Jesu Christe puis Libera me), et Patrice Verdelet y fut d'une ferme et sobre vaillance.
Quant au nouvel orgue, puisque c'est lui qui dans ces concerts destinés à le faire découvrir focalise l'attention, il fut de part en part absolument remarquable : non seulement Yves Castagnet qui le touchait, mais le Grenzing dans cette fonction d'accompagnateur grand format du Chœur – l'une de ses fonctions et raisons d'être essentielles à Radio France. Si l'instrument en tant que soliste doit encore faire ses preuves, nul doute que le partenaire de prédilection du Chœur et de la Maîtrise a tout pour s'acquitter magnifiquement de sa mission.
C'est a capella que ce concert du 17 février se referma : ineffable Notre Père de Duruflé – à peine deux minutes, mais de beauté à l'état pur, bouleversante de simplicité, concentrée et vibrante dans l'interprétation du Chœur de Radio France.
Rappelons que le Grenzing sera de nouveau bientôt à l'honneur : l'orgue concertant le 10 mars prochain – Poulenc avec Olivier Latry et l'Orchestre National de France dirigé par Fabien Gabel ; puis l'orgue soliste à l'occasion du premier récital, le 13 mars : week-end « à la française », également avec Olivier Latry, principal artisan, en dépit de tous les aléas initiaux, de la présence de ce Grenzing dans l'Auditorium. Sont également programmés un concert-atelier : « L'orgue au cinéma », le 13 juin avec Thomas Ospital, puis le 27 juin un récital Bach, Grigny, Alain, Valéry Aubertin (en création mondiale) par Thomas Monnet. Quant à la saison 2016-2017, elle semble s'annoncer sous les meilleurs auspices, avec chaque mois au moins deux rendez-vous fixes, au gré de programmations d'une originalité et d'une ouverture sur lesquelles nous aurons l'occasion de revenir.
Michel Roubinet
Paris, Radio France, Auditorium, 17 février 2016
(1) www.concertclassic.com/article/premieres-auditions-de-lorgue-grenzing-de-radio-france-en-attendant-lharmonisation-complete
(2) http://www.orgue-en-france.org/jour-de-lorgue.html
(3) Trois questions à Lionel Avot, conseiller musical pour l'orgue à la direction de la musique de Radio France
www.concertclassic.com/article/trois-questions-lionel-avot-conseiller-musical-pour-lorgue-la-direction-de-la-musique-de
Site Internet :
Radio France – Concert du 17 février 2016
http://www.maisondelaradio.fr/evenement/concerts-du-soir/requiem-de-durufle
Photo © Radio France–Christophe Abramowitz
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