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François-Xavier Roth et Les Siècles interprètent Moussorgski et Ravel – Les Tableaux retrouvent leurs couleurs

Après Daphnis et Chloé, puis Ma mère l’Oye, Le Tombeau de Couperin, Shéhérazade et Ouverture de féerie, le parcours ravélien de François-Xavier Roth (photo) chez Harmonia Mundi se poursuit avec un nouveau volume, pas moins séduisant que les deux précédents, qui rassemble les Tableaux d’une exposition et La Valse. (1)
Fascinant exercice d’appropriation que l’orchestration de l’ouvrage pour piano de Moussorgski réalisée par le Français en 1922. « Ravel a réécrit les Tableaux, tant ses choix d’orchestration reviennent à une forme de recomposition de l’œuvre, constate François-Xavier Roth. L’orchestre des Tableaux est différent de celui que Ravel offre dans d’autres ouvrages. Une orchestration plus franche, radicale, qui colle très bien avec le vocable de Moussorgski, mais avec toutefois des signatures très ravéliennes – utilisation des bois, des petites percussions, etc. »
 

Retour à l’orchestration originelle
« A l’occasion de cet enregistrement et de la série de concerts que nous avions donnés avec ce programme, j’ai découvert que l’orchestration de Ravel a été quelque peu remaniée par les premiers chefs qui l’ont dirigée, Koussevitzky (2) et d’autres, ce que j’ignorais complètement. Grâce à la nouvelle Edition Ravel (3) nous avons pu revenir sur des choses qui avaient été tronquées par certains chefs ; un retour aux sources vraiment passionnant. »

Une palette de couleurs spécifique
Reste que le bonheur éprouvé à l’écoute de cette nouvelle version d’un ouvrage maintes fois enregistré tient d’abord à l’utilisation par les musiciens de F.X. Roth des instruments caractéristiques de l’orchestre français du début du siècle dernier, « radicalement différent de celui que l’on connaît aujourd’hui, rappelle le chef : les archets utilisaient des cordes en boyau, on trouvait même parfois un mélange entre instruments montés en boyau et d’autres en métal. Les instruments à vent présentaient des caractéristiques très françaises et même parisiennes. La capitale était un haut lieu de la fabrication des vents, aussi bien bois que cuivres. Des instruments plus petits, à perce plus fine, plus enclins à développer une palette de couleurs spécifique, avec des timbres très caractérisés. Ce qui vaut aussi pour les timbales, plus petites et tendues en peau animale, et pour les harpes Erard, très fameuses à l’époque, au même titre que les pianos de ce facteur. »
« Avec Les Siècles, nous avons à cœur de mettre en valeur cet orchestre français dont la dimension coloriste plus appuyée permet de servir au mieux les musiques écrites avec les outils que les compositeurs avaient alors à leur disposition. Les couleurs apparaissent presque automatiquement et l’on comprend pourquoi Ravel a fait tel ou tel choix, pourquoi il a décidé d’associer tel tableau de la partition de Moussorgski à un instrument principal. Il est plus facile de comprendre le geste du compositeur avec ces instruments-là. De plus, ils nous dictent une certaine échelle de volume, d’articulation ; ils nous donnent une idée plus précise de l’enveloppe sonore que Ravel avait à l’oreille. »

Un happening musical
Insidieuse, vénéneuse, éloignée du spectaculaire un peu facile de certaines lectures, La Valse selon François-Xavier Roth ne captive pas moins que les Tableaux. Une œuvre complexe à aborder avoue le chef, « parce que Ravel a dit qu’il faut la jouer avec des épanchements ou un rubato venus d’une tradition de valse viennoise. Indication très vague ... Cette partition reste une énigme, musique un peu crépusculaire, avec en même temps une infinie nostalgie, à certains moments sensuelle, presque érotique. Il est difficile d’enregistrer La Valse, qui est une œuvre de concert, une sorte de phénomène, de happening musical qui a lieu au moment du concert. »
 

© Mark Allen

Feu beethovénien et élan révolutionnaire français
Comme tant d’autres formations, Les Siècles ont été soudainement stoppés dans leur activité par la crise sanitaire alors qu’ils étaient plongés dans une série de concerts Beethoven. Reste que F.-X. Roth et ses troupes auront eu le temps de donner la totalité des 9 Symphonies en public. Un rendez-vous très attendu pour un chef qui avait déjà dirigé ces partitions avec divers orchestres – à Boston, au Concertgebouw, à Cologne, et avec Les Siècles évidemment. « La musique de Beethoven accompagne ma vie d’interprète, mais je n’avais jamais dirigé une intégrale en un temps aussi resserré : j’ai beaucoup appris du cycle dans sa continuité, avoue-t-il. »

La confrontation des Siècles et de leur directeur musical avec Beethoven ne demeurera pas sans écho au disque, puisque l’on disposera dans les mois à venir des Symphonies nos 3 et 5 associées à des pages françaises de la période révolutionnaire ; couplage on ne peut plus cohérent. «  Il fascinant de voir comment Beethoven a été influencé par une musique symphonique française que l’on ne connaît pratiquement plus du tout aujourd’hui, rappelle le chef. Ce sera l’occasion de faire honneur à des partitions, caractérisées par l’importance et la virtuosité des instruments à vents – qui faisaient la réputation des orchestres français de l’époque."
On s’impatiente de découvrir en septembre prochain la Symphonie à 17 parties de Gossec en compagnie de la 5ème Symphonie, puis, début 2021, l’Héroïque au côté de l’ouverture Les Amazones de Méhul. Feu beethovénien et élan révolutionnaire français : alléchante alliance !

Les plaisirs simples du confinement
Pour l’heure, François-Xavier Roth n’échappe pas aux contraintes du confinement dans sa maison nîmoise. Période totalement inédite pour le monde, mais aussi pour un artiste très actif qui est en contact « tous les jours avec ses équipes, que ce soit celle des Siècles ou celle du Gürzenich Orchester à Cologne, pour essayer d’anticiper la prochaine étape », avec les impératifs sanitaires, mais aussi les contraintes économiques qui s’imposeront.  
« Comme mes amis Daniel Barenboim ou Simon Rattle, avec lesquels j’ai discuté, j’éprouve beaucoup de mal, dans ce climat d’incertitude, à me plonger dans une partition sans savoir quand je la dirigerai, confie l’artiste ». Il préfère goûter à l’instant présent, profiter de sa famille, dont il est si souvent éloigné en temps normal, et s’offrir le bonheur tout simple de regarder pousser les radis qu’il a semés dans son jardin.
 L’avenir ? « Je pense que nous nous préparons à un « jour d’après » qui sera plus près de nos communautés, des endroits où l’on vit, où l’on a grandi ; à un recentrage de nos activités pour un résultat qui peut être très positif. »

Alain Cochard
(Entretien réalisé avec François-Xavier Roth le 4 mai 2020)

(1)    1 CD Harmonia Mundi 905282 (disponible depuis le 1er mai) : boutique.harmoniamundi.com/release/186221-les-sicles-and-franois-xavier-roth-ravel-la-valse-mussorgsky-les-tableaux-dune-exposition-orch-ravel

(2)    Commande de Serge Koussevitzky, l’orchestration des Tableaux fut créée à l’Opéra de Paris le 19 octobre 1922 dans le cadre des Concerts Koussevitzky

(3) Pour en savoir plus sur les Tableaux dans l’Edition Ravel : https://www.raveledition.com/

Photo © Hartmut Naegele

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