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« Frères », récital de Julien Dran et Jérôme Boutillier à l’Opéra de Vichy (Streaming) – Ce qu’on appelle Bromance – Compte-rendu
Heureusement, car il réunit deux des représentants les plus prometteurs du jeune chant français. D’un côté, le ténor Julien Dran (photo à dr.), auquel les théâtres ont de plus en plus recours : Alfredo à Massy, Raimbaut de Robert le diable à Bruxelles, Pâris de La Belle Hélène à Lausanne… De l’autre, le baryton Jérôme Boutillier (photo à g.), propulsé sur le devant de la scène lorsqu’il dut remplacer au pied levé André Heyboer dans La Nonne sanglante à l’Opéra Comique ; on espère que les conditions sanitaires permettront le bon déroulement de la tournée du Voyage dans la lune où, à partir de fin décembre, il doit incarner le roi Vlan. Ils n’avaient encore jamais chanté ensemble, mais n’ont eu aucun mal à faire se rencontrer leurs répertoires, et s’il fallait un fil directeur à leur récital, ce pourrait être la notion d’amitié virile, ce que les Anglo-Saxons appellent bromance, d’après les mots brother et romance – mais aussi l’inimitié tout aussi masculine, puisqu’il arrive aussi que les personnages convoqués par le programme se détestent cordialement.
Première œuvre qui s’imposait : Les Pêcheurs de perles. Julien Dran est engagé partout pour Nadir, Limoges, Reims, Nice dans un passé récent, et Marseille en avril prochain ; il est même presque étrange que son chemin n’ait pas encore croisé celui de Jérôme Boutillier, Zurga à Toulon en décembre 2019 dans cette même production signée Bernard Pisani où son « frère » ténor a chanté plusieurs fois. Le duo de la déesse était donc inévitable – il aurait pu être intéressant d’en donner la version originale, mais soit – après quoi chacun pouvait interpréter son air : on souhaiterait que Julien Dran conserve la nuance piano pour tous ses aigus, y compris celui du « Charmant souvenir » additionnel, mais l’air de Zurga permet à Jérôme Boutillier de montrer qu’il peut s’exprimer dans le registre de l’introspection douloureuse, loin du caractère survitaminé qu’il imprime à son Figaro, dans le duo du Barbier de Séville sur lequel s’ouvre le concert. Heureusement, le ténor ne s’en laisse pas conter et sait imposer sa présence dans ce dialogue rossinien.
En italien également, deux fragments de Lucia di Lammermoor : la scène de Wolf’s Crag, suivie de « Tombe degli avi miei ». On regrette que Julien Dran n’ait pu inclure « Tu che a Dio spiegasti l’ali », et Jérôme Boutillier aurait trouvé à déployer une véhémence bienvenue dans « Cruda, funesta smania » (mais le concert aurait duré deux heures au lieu d’une heure trente).
Rossini encore, mais en français, pour trois extraits de Guillaume Tell, à nouveau un duo suivi de deux airs. On mesure à cette occasion l’ambition de l’exercice, car il n’est pas donné à tout les ténors d’être à la fois Nadir et Arnold : Julien Dran se montre tout à fait convaincant dans « Asile héréditaire », avec un aigu glorieux. « Reste immobile » est un air difficile à incarner au concert, et l’on trouvera Jérôme Boutillier sans doute plus à l’aise dans la scène de la prison de Don Carlos où l’on sent qu’il a pris le temps de mûrir un Posa particulièrement émouvant. Inévitablement, le programme se conclut sur le duo « Dieu, qui semas dans nos âmes ». Souhaitons que ces deux nouveaux frères puissent prochainement se faire entendre dans d’autres lieux, et avec un public non plus virtuel mais bien « présentiel ».
Laurent Bury
Photo © Opéra de Vichy
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