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Gala des dix ans du Concert de la Loge au Théâtre des Champs-Elysées – Pièce montée – Compte rendu
Pour dix bougies, le gâteau d’anniversaire peut se révéler imposant, mais les orchestres grandissent plus vite que les humains, et pour fêter leurs dix années d’existence, il leur faut davantage : c’est donc une véritable pièce montée qu’a proposé Julien Chauvin (photo) afin de célébrer dignement la première décennie de son Concert de la Loge qu’on aimerait pouvoir encore appeler Olympique. En ce mercredi 15 janvier, l’occasion a été dûment commémorée, par un concert en trois parties, comme ces pâtisseries que l’on confectionne pour les mariages plutôt que pour les anniversaires (à moins qu’il s’agisse en somme de l’anniversaire de mariage de tous ces musiciens qui ont uni leurs destinées). Trois épaisseurs superposées, séparées par deux entractes, pour une soirée qui bien duré trois heures et demie en tout. Trois savoureuses couches de gâteau qui ont permis aux mélomanes venus nombreux de (re-)déguster toutes sortes de délices, dont la Concert de la Loge nous avait déjà régalées dans un passé plus ou moins proche, pour la plupart d’entre elles. Bien entendu, l’orchestre était là, forcément, et au grand complet – parfois réduit à ses seuls pupitres de cordes pour les œuvres de Vivaldi, par exemple –, certains de ses membres se produisant aussi en solistes, sans oublier quelques instrumentistes invités, comme le clarinettiste Nicolas Baldeyrou pour l’Adagio du Concerto de Mozart, ou le violoncelliste Victor Julien-Laferrière pour l’Allegro molto du Concerto n°1 de Haydn. Le Concert de la Loge ayant depuis toujours marqué son intérêt pour la musique vocale, la fête se devait également d’inclure des voix : seize membres des Chantres du Centre de musique baroque de Versailles, et douze chanteurs solistes avec lesquels l’orchestre a collaboré au cours de ces dix premières années.
Les deux premiers étages de cette pièce montée correspondent à des périodes stylistiques bien distinctes : d’abord, un ensemble d’œuvres composées entre 1770 et 1790, tant françaises qu’allemandes, célébrissimes (la soirée démarre avec une vigoureuse ouverture de La Flûte enchantée) ou raretés absolues comme ce Jugement dernier, cantate sacrée composée par Salieri durant sa période parisienne. Ce gala permet de se souvenir que le Concert de la Loge a contribué à la redécouverte de notre répertoire, tant en revisitant des œuvres canoniques, comme récemment encore l’Iphigénie en Aulide de Gluck, mais aussi en réveillant de belles endormies comme Le Cid de Sacchini ou la Phèdre de Lemoyne (qui connaîtra très prochainement, mais en Allemagne, à Karlsruhe, sa résurrection scénique). On retrouve donc Judith Van Wanroij, qui avait été Phèdre dans la version réduite que Julien Chauvin avait dirigée jadis à Rouen, ou Jérôme Boutillier, qui renoue avec le rôle du héraut du Cid, et dans la même tenue que jadis dans ce spectacle, c’est-à-dire torse nu et l’épée à la main. Le baryton livre ensuite une interprétation de l’air d’Oreste d’Iphigénie en Tauride tout aussi mémorable que lorsqu’il avait incarné le personnage en scène. Il est rejoint en Pylade par Stanislas de Barbeyrac, très engagé même s’il doit négocier avec précaution l’aigu de son air. Avec une admirable maestria, Sandrine Piau vient ensuite nous rappeler que le grand air d’Iphigénie dans ce même opéra est en fait directement issu de l’air de Sesto dans la Clémence de Titus de Gluck. Florie Valiquette et Sulkhan Jaiani reprennent les rôles qu’ils interprétaient dans un Enlèvement au sérail donné dans ce même TCE en XX, avec notamment un superbe « Martern aller Arten » où la soprano québécoise réussit une fois de plus à concilier agilité irréprochable et expressivité.
© Franck Juery
La deuxième tranche du gâteau nous ramène vers la première moitié du XVIIIe siècle, en Italie, en Angleterre et en France. Outre les pièces instrumentales de Vivaldi, dont un extrait des Quatre Saisons pour lequel on a fait revenir le danseur Samuel Florimond, dont les chorégraphies urbaines accompagnaient la musique dans une récente tournée du Concert de la Loge, les diverses arias offrent à d’autres artistes l’occasion de briller. Deux mezzos, d’abord : Adèle Charvet, dans un air virtuose de La fida ninfa, et Eva Zaïcik, dans un air plus tendre d’Il Giustino. Toujours convaincant malgré l’indéniable passage des ans, Philippe Jaroussky vient associer sa voix à celle de Sandrine Piau pour un ineffable duo de Theodora, tandis que Karina Gauvin prouve qu’elle reste une grande haendélienne : « Ah, mio cor » suscite d’abord des craintes – le vibrato sera-t-il maîtrisé ? - mais la chanteuse impressionne par l’intelligence avec laquelle elle sait gérer ses ressources actuelles, avec une force d’émotion intacte. Cette partie s’achève sur une chatoyante contredanse des Boréades et par l’incontournable « Forêts paisibles » qui réunit Chantal Santon-Jeffery et Jérôme Boutillier.
Pour le dernier tiers de la pièce montée, les mariés se font plaisir sans plus guère se soucier de regrouper les œuvres par date, puisque l’on balaye cette fois tout le XVIIIe siècle, en s’aventurant même jusqu’aux années 1860 ! Philippe Jaroussky revient pour un air du Siroe de Ferrandini, sur le même texte que le fameux air du Farnace de Vivaldi, « Gelido in ogni vena », et Chantal Santon-Jeffery fait un nouveau tour de piste pour un air de l’Armida de Haydn. Les trois extraits du Carmen Saeculare de Philidor, où les chanteurs sont assemblés selon diverses configurations, donnent grande envie d’en entendre l’intégralité. Après le quatuor de Fidelio, changement d’atmosphère et de style, puisque Mariana Viotti vient chanter le final de Cenerentola, avant de s’amuser avec Stanislas de Barbeyrac dans le premier duo de La Périchole qu’ils interprétaient au TCE en novembre 2022, mais avec un autre ensemble (d’instruments anciens aussi) et sous la direction d’un autre chef. En guise de conclusion festive, et avant que le gâteau comestible ne soit introduit sur le plateau, tous les participants de ce gala sont réunis pour le chœur final de L’Enlèvement au sérail, et le public peut laisser éclater sa joie, après ce programme copieux qui laisse augurer bien des surprises pour la prochaine décennie du Concert de la Loge.
Laurent Bury
Paris, Théâtre des Champs-Elysées, 15 janvier 2025. Concert enregistré par France Musique, diffusion le 3 février 2025 à 20h
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