Journal
GerMANIA d’Alexander Raskatov en création mondiale à l’Opéra de Lyon – Pathologie du pouvoir
Quatre ans après le triomphe de la première française de Cœur de chien (1), ouvrage inspiré d’une nouvelle de Boulgakov dont la création mondiale s’était tenue en 2010 à Amsterdam, Alexander Raskatov (né en 1953) est de retour à Lyon pour un second ouvrage lyrique impatiemment attendu : GerMANIA.
C’est Serge Dorny, directeur de l’institution lyonnaise qui a mis Germania, Mort à Berlin de Heiner Müller dans les mains du compositeur. Séduit par la froideur, les idées « au scalpel », il a poursuivi avec Germania 3, les spectres du Mort-Homme, ouvrage ultime de l’écrivain allemand qui lui a fourni la base du livret à partie duquel est née la partition (en allemand et russe) que l’on découvre du 19 au 26 mai à Lyon.
Pathologie du pouvoir au XXe siècle
Plutôt que d’un opéra, avec le fil narratif qu’il suppose, Raskatov préfère décrire GerMANIA comme un succession de « scènes dramatiques » (dix en tout, réparties à parts égales en deux actes), mode d’organisation qui lui a laissé toute latitude pour se concentrer sur « son sujet principal : la pathologie du pouvoir au XXe siècle ». Hitler, Staline, Goebbels et – pour faire bonne mesure – même le spectre de Trotsky sont présents dans GerMANIA !
Pourquoi s’être embarqué dans cette aventure ? Les ouvrages de Müller ont résonné fortement chez un artiste (qui n’a quitté la Russie qu’en 1994) et dont la famille a connu de la manière la plus directe les conséquences de la dictature stalinienne : un grand-père ayant passé huit années de goulag à Vorkouta, des parents médecins qui, lors de l’affaire des blouses blanches, n’ont dû leur survie qu’à la mort du « petit père de peuples ». « Sujet brûlant » donc pour Raskatov que celui de GerMANIA, mais vis à vis duquel il avoue « s’être efforcé de conserver une certaine distance. »
© Alexander Raskatov © Gonthier
Le fil de fer barbelé
«Il y a des images fortes et folles chez Heiner Müller qui m’ont donné de l’inspiration, confie le compositeur et librettiste». A côté des personnages historiques, il en est un autre, commun aux deux régimes, que la partie instrumentale se charge de suggérer : le fil de fer barbelé. Atmosphère de surveillance : comme des miradors, trois petits ensembles de cuivres sont répartis dans la salle, tandis que l’orchestre émet de temps à autre des sonorité métalliques très évocatrices. Un Orchestre de l’Opéra de Lyon, dont Raskatov avait mesuré les qualités au moment de Cœur de chien, en particulier « un groupe de percussions extraordinaire » qu’il n’a pas hésité à exploiter à plein dans GerMANIA.
Rencontre de l’opéra et de l’Histoire : « J’ai énormément écouté de musiques du IIIe Reich, précise Raskatov ; quant à celles de l’époque soviétique, je les connais plutôt bien, ajoute-t-il avec un humour grinçant ... J’ai procédé à diverses citations : le Ich hatt’einen Kameraden, lied du début du XIXe siècle qui s’est retrouvé faisant figure de chant nazi, L’Internationale, Die Forelle de Schubert, dernière musique écoutée par Hitler avant son suicide. » Autant de citations que Raskatov compare à des affiches plaquées sur un mur.
Hitler et Staline réunis dans un opéra ; une première sauf erreur. Comment aborder ces personnages ? « Pour Staline, j’ai voulu un rôle très lent, à l’image de ses paroles qui, selon Mandelstam, pesaient comme du plomb, et j’ai fait appel à mon ami Gennady Bezzubenkov, grande basse du Mariinsky. » Lenteur que pourrait venir parfois bousculer les effets du vin géorgien ...
Voix ténor pour Hitler avec une partie « sur une tessiture très étendue, qui utilise beaucoup d’effets vocaux ; cris, paroles se mêlent »(Michael Gniffke et James Kryshak alterneront dans cet emploi particulièrement éprouvant).
Et si Staline et Hitler disparaissent au 2e Acte en tant que personnages, Hitler y opère une – étonnante ! –métamorphose, symbole de la permanence d’un instinct de destruction.
En mémoire des âmes ruinées
L’excès vocal, de l’aveu du compositeur, caractérise l’ensemble des rôles d’une fresque inspirée par la folie meurtrière de l’Histoire. Une scène « cathartique » s’imposait : au n° 10, intitulé « Auschwitz Requiem », Raskatov assigne cette tâche. « La seule scène qui apporte une certaine paix ; elle est le moment où les prières se font entendre, en différentes langues, en mémoire de toutes les âmes ruinées. Au dessus d’elles un garçon chante une mélodie sans paroles que j’ai puisée dans un vieux recueil de chants hébraïques.»
Une expérience singulière s’annonce à l’Opéra de Lyon, dans une mise en scène de John FullJames et sous la baguette de l’Argentin Alejo Pérez !
Alain Cochard
(Entretien avec Alexander Raskatov réalisé le 2 avril 2018)
Alexander Raskatov : GerMANIA ( création mondiale)
19, 21, 23 et 26 mai 2018
Lyon - Opéra
www.opera-lyon.com/fr/20172018/opera/germania
Photo © Stofleth
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