Journal
Gosse de riche de Maurice Yvain au Théâtre Trévise – La fille de l’amant de la maîtresse ou le joyeux imbroglio – Compte-rendu
La passion pour la musique populaire savante – genre hélas trop souvent snobé, quand ce n’est totalement méprisé par les décideurs et subventionneurs – anime les deux compagnies et les investit d’une véritable mission patrimoniale. Chacun des ouvrages retenus (Les Frivolités, spécialisées sur le XIXe siècle, s’unissant aux Grands Boulevards pour la comédie musicale du début du XXe siècle) fait l’objet d’un travail aussi sérieux et méticuleux que celui d’autres interprètes sur des partitions vieilles de trois siècles. Et la tâche n’est pas toujours plus facile, loin de là !, pour des musiques datées de 1876 ou de 1924. Elle s’avère parfois même plus compliquée car, avant de se réapproprier, tant sur le plan vocal et instrumental (avec respect des effectifs orchestraux originaux) que celui du jeu scénique, les codes sans lesquels le parfum d’un Hervé, d’un Lecocq ou d’un Yvain s’évapore immanquablement, il faut résoudre l’épineux problème du matériel de très mauvaise qualité dont souffrent nombre de ces titres, pendant si longtemps négligés – des interprètes et des éditeurs – et reconstituer avec une parfaite rigueur musicologique une base de travail fiable.
Quelques semaines après le triomphe des Frivolités dans le Petit Duc de Lecoq au Trianon, c’est une fois de plus un grand « chapeau bas ! » qu’il convient d’adresser à la compagnie et à celle des Grands Boulevards pour Gosse de riche de Maurice Yvain (livret et lyrics de Jacques Bousquet et Henri Falk), présenté au théâtre Trévise.
Créé le 2 mai 1924 au théâtre Daunou, cette comédie musicale en trois actes n’avait jamais été redonnée sur scène à Paris depuis 1925. « C’est l’une des partitions les plus réussies d’Yvain », glisse C. Mirambeau, qui a entrepris de la ressusciter en donnant un petit coup de neuf aux dialogues (quelques détails nous transportent des années 20 aux années 50), mais sans jamais céder aux facilités de l’actualisation. Quant à la mise en scène, il la délègue cette fois à l’excellent Pascal Neyron (2), assisté d’Olivier Podesta, l’un des membres de la distribution.
Quelle soirée ! Quel bijou de drôlerie et quelle galerie de portraits que Gosse de riche : André Sartène, peintre, photopeintre plutôt, sa charmante Nane, nouvelle conquête de l’artiste mais aussi maîtresse d’Achille Patarin, bourgeois parvenu dont Sartène a fait le portrait, Madame Patarin, leur fille Colette – la gosse de riche –, Léon Mézaire, amateur d’art « éclectique », wagnérien, chasseur de papillons et – chose essentielle – « mari en location ». Et n’oublions pas la Baronne Skatinkolovitz, femme très au fait des affaires modernes (prévoir 20 % de commission pour toute intervention), ni un vidame breton qui a le bon goût de ne jamais pointer le bout du nez.
Vous racontez l’histoire, non mais... vous rêvez ?! Comme l’on croque dans un fruit goûteux, il vous faut aller découvrir le joyeux imbroglio de Gosse de riche (partagé entre l’atelier de Sartène à Paris et un manoir en Bretagne – pour toute location dudit manoir s’adresser à la Baronne), le livret si spirituellement entortillé à partir duquel Yvain a composé une partition d’un peps, d’un humour et d’un charme infinis – « l’un des plus jolis livrets de comédie musicale que je connaisse », écrivait André Messager dans Le Figaro du 4 mai 1924.
Pas un temps mort au cours d’une soirée sans entracte d’un peu plus de deux heures dont on sort tout simplement heureux et revigoré. Dans une scénographie aussi sobre qu’efficace ( Daniela Telle signe des costumes parfaitement adaptés), l’énergie collective de la mise scène permet aux chanteurs comédiens d’aller au bout de leur rôle. Dorothée Lorthiois (Colette), Léovanie Raud (Nane), Charlène Duval (Suzanne Patarin), pas moins haute en couleur qu'Ariane Pirie en Baronne, campent chacune leur personnage d’aussi convaincante façon que, chez les hommes, Guillaume Paire (Sartène), Alexandre Martin-Varroy (Achille Patarin) et Olivier Podesta (Léon Mézaire)
Pas un temps mort ? Il faut dire que dans la fosse, la presque vingtaine de musiciens du Frivol’ensemble – l’effectif exact de la création – est rondement menée par Jean-Yves Aizic (3) : son drive comme son sens du détail font merveille et l’art de Maurice Yvain resplendit avec une contagieuse bonne humeur
Encore une date, mercredi 19 avril ; une soirée de bonheur assurée : courrez-y !
Une unique date à Saint-Dizier, deux à Paris : pareille réussite ne peut en rester là ; espérons que les programmateurs sauront prêter à cette production tout l'intérêt qu'elle mérite.
Et une fois de plus, au sortir de ce spectacle, on s'est pris à rêver qu'un théâtre à Paris décide de se consacrer de façon exclusive tout au long de l'année au répertoire lyrique léger, avec l'exigence qu'il requiert. Au vu du nombre et de l'enthousiasme du public qui a fait le déplacement pour la première de Gosse de Riche, il ne courrait qu'un risque : le succès !
Alain Cochard
(1) Pour en savoir plus sur les Frivolités Parisiennes : www.concertclassic.com/article/les-frivolites-parisiennes-jouent-le-petit-duc-de-charles-lecoq-ya-dla-joie
(2) Pascal Neyron, l’un des interprètes de Paris Chéri(e)s au théâtre Trévise en janvier dernier : www.concertclassic.com/article/paris-cheries-au-theatre-trevise-paris-plaisir-ils-ne-pensent-qua-ca-et-ils-ont-bien-raison
(3) Déjà remarqué dans Yes ! du même Yvain en janvier 2015 : www.concertclassic.com/article/yes-de-maurice-yvain-au-cafe-de-la-danse-oui-eperdument-compte-rendu
M. Yvain : Gosse de riche – Paris, Théâtre Trévise, 12 avril 2017, prochaine et dernière représentation le 19 avril 2017 (20h).
www.lesfrivolitesparisiennes.com/gosse.html
Photo © Les Frivolités Parisiennes
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