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Gounod et l’art gothique par Hervé Niquet - Une passion néo-palestrinienne – Compte-rendu
Lors du 6e Festival Palazzetto Bru Zane à Paris, en large partie consacré à Charles Gounod, Hervé Niquet (photo) et le Chœur de la Radio Flamande ont fait redécouvrir deux compositions que leur style néo-palestrinien ou « gothique » avait rapidement condamnées au silence : la Messe vocale et les Sept Paroles de Notre Seigneur Jésus-Christ sur la Croix. Des œuvres passionnées et captivantes.
Dans le décor idéalement « ruiné » des Bouffes du Nord, les deux partitions « gothiques » de Charles Gounod ont bel et bien sonné comme si elles remontaient du fond des âges. En premier lieu parce qu’Hervé Niquet a placé le Chœur de la Radio Flamande en cercle autour de lui, une organisation qu’il avoue affectionner dans les églises et qui restitue effectivement une impression de chœur conventuel. Par cet agencement, le chef obtient une excellente synchronisation des pupitres et une fusion parfaite des voix. La clarté vocale devient elle aussi idéale et passionnante. La direction d’Hervé Niquet, souple et continue, se devine d’ailleurs concentrée sur la pure expressivité, pour le plus grand plaisir de l’auditoire. Au style néo-palestrinien mis au point par le compositeur dans la Messe vocale se sont ajoutées les improvisations à l’orgue positif de François Saint-Yves. Dans un style rappelant celui de Bach, celles-ci produisent une mise en abyme auditive en introduisant une distanciation temporelle supplémentaire.
© MGrinand
Le style même des œuvres parle aussi pour elles. Ecrite à Vienne en 1843, par un Gounod revenant tout juste de Rome où il s’est immergé dans la musique Renaissance et baroque italienne, la Messe vocale affiche sa parenté avec le style de Giovanni Pierluigi Palestrina par son rythme, ses grandes envolées baroques et son cantus firmus. Gounod s’est fait plaisir en écrivant cette ouvrage à cinq voix car, échaudé par l’échec de son Te Deum « alla italiana » (1841), il sait qu’elle ne plaira pas à la France du XIXe siècle. Il la germanise d’ailleurs sans regret en lui ajoutant des « Corals » traditionnels destinés à introduire les mouvements, hormis le Sanctus. Il fera ensuite cadeau de la partition à la Karlskirche de Vienne avant son retour en France.
L’œuvre est non seulement d’une réelle beauté, mais chaque nouvelle audition la rend toujours plus captivante, tant par son équilibre que par la pertinence de son écriture. C’est ce que, après un concert de haute facture, Hervé Niquet et le Choeur de la Radio Flamande mettent en évidence avec leur enregistrement, inclus dans le livre-disque consacré à Charles Gounod de la Collection Prix de Rome. (1)
En écrivant ses Sept Paroles de Notre-Seigneur Jésus-Christ sur la Croix dans une version pour chœur a cappella, Gounod associe la dramaturgie profane romantique au style baroque sacré. Aussi bien a-t-il écrit les parties chorales pour les chœurs anglais que son exil en Grande-Bretagne, durant l’année 1870, lui a donné l’occasion de croiser. L’œuvre y gagne un caractère unique car la narration lui confère une force expressive dont les Sept Paroles instrumentalisées sont généralement privées. Par le texte, pioché dans différents évangiles, par l’expressivité soignée des choristes, par les nuances vocales ou les contrastes entre les voix masculines et féminines, Hervé Niquet et le Chœur de la Radio Flamande font ressentir au public les émotions et les affres des personnages au fur et à mesure de la progression du supplice. Et l’auditoire entend la douleur du supplicié, le désespoir de Marie et des apôtres ou la dureté des juges et la fureur du peuple jaloux.
Jamais mièvre, toujours excellemment rendu, le pathos de l’œuvre captive et, à la façon des chœurs grecs anciens, entraîne l’ensemble du public dans une catharsis passionnante et salutaire. Personne ne peut cependant assurer que l’œuvre ait été donnée en France du vivant du compositeur.
Michel Grinand
(1) « Cantates et musique sacrée » (Marie Stuart et Rizzio, Fernand, La Vendetta, Messe vocale, Christus factus est, Hymne sacrée, Messe de Saint-Louis-des-Français) – PBZ - Collection Prix de Rome (Vol.6)
Paris, Théâtre des Bouffes du Nord, 3 juin 2018
Photo © DR
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