Journal
Grisélidis de Massenet en version de concert à l'Opéra de Montpellier (Reprise à Paris, TCE/4/07)– Rien qu’un miracle – Compte-rendu
Rien qu’un miracle : il n’en faudrait peut-être pas plus pour que, comme sa Cendrillon, la Grisélidis (1901) de Massenet retrouve le chemin des scènes et devienne elle aussi l’opéra que tous les théâtres veulent monter. Composé à la même époque, usant du merveilleux et épicé d’un humour non négligeable,Grisélidis possède en effet de nombreux atouts pour s’imposer à nouveau. Dans le cadre de cette version de concert, Jean-Marie Zeitouni, à la tête de l’Orchestre national Montpellier Occitanie, sait trouver le ton adéquat pour les différentes composantes de l’œuvre et nous rappelle qu’il s’agit là d’une des plus belles partitions de Massenet, dont l’orchestration est d’un raffinement qui n’a rien à envier à celles de ses contemporains qui, elles, figurent régulièrement au répertoire : limpidité bucolique de la forêt du Prologue, fracas maléfique de certaines interventions du diable, envoûtement de la valse qui annonce la tentation de l’héroïne, éclats d’un wagnérisme bien digéré …
Vannina Santoni & Jean-Marie Zeitouni © Marc Ginot
Massenet ne succombe ici à aucune facilité, et il est d’autant plus regrettable que l’on n’ait plus entendu cette musique en France depuis 1992, où même à Saint-Etienne elle ne fut donnée qu’en concert. La raison en tient peut-être au livret : notre époque est friande de merveilleux, mais beaucoup moins de merveilleux chrétien. Or Grisélidis donne la parole au diable – et jusque-là, tout va bien – mais s’achève sur un miracle, la statue de sainte Agnès s’animant pour rendre à Grisélidis l’enfant qui lui a été ravi et pour lequel elle n’a pas consenti à sacrifier sa vertu. Il devrait pourtant bien se trouver aujourd’hui un metteur en scène qui ferait passer à la trappe toute infraction à la laïcité, grâce à quoi Grisélidis redeviendrait jouable. Un petit miracle suffirait donc, en somme.
Thomas Dolié et Vannina Santoni © Marc Ginot
Rien qu’un miracle qui devrait être considérablement encouragé par l’enregistrement qu’a décidé de proposer le Palazzetto Bru Zane, et pour lequel une admirable distribution a été réunie, jusque dans les plus petits rôles. Ne quittant pas une seule fois la coulisse, le Chœur de l’Opéra national Montpellier Occitanie apporte sa précieuse contribution au climat féerique de l’œuvre, voix d’anges surgies de nulle part. Thibault de Damas et Adrien Fournaison prêtent leur voix grave au Prieur et à Gondebaud, Adèle Charvet livre une belle interprétation de l’air « En Avignon, pays d’amour » auquel se borne à peu près son personnage. En Fiamina, Antoinette Dennefeld ne peut se faire entendre qu’en duo avec son mari le diable mais laisse transparaître un vrai tempérament. Marquis ombrageux mais aimant (le livret le lave de presque toute responsabilité dans les épreuves infligées à son épouse, alors que la légende l’en rendait entièrement coupable), Thomas Dolié montre qu’après ses triomphes dans la tragédie lyrique, il peut aussi s’imposer dans la musique du XIXe siècle, après son délicieusement pompeux Dicéphile dans la Phryné de Saint-Saëns. Julien Dran est un Alain ardemment poète, et son timbre possède bien assez de charme pour que Grisélidis soit à deux doigts de succomber à la tentation manigancée par les forces du mal.
Tassix Christoyannis & Thibault de Damas © Marc Ginot
Ce printemps, Tassis Christoyannis enchaîne les rôles comiques : après le superbe Falstaff qu’il fut à Lille, il est cette fois un diable « très bon enfant », acteur irrésistible, fin diseur sans lourdeur aucune et chanteur plein de verve ; on lui pardonne bien volontiers l’instant de distraction qui cause un léger décalage avec l’orchestre et une interversion de mots dans son fameux air « Loin de sa femme », péché bien véniel face à une telle intelligence du texte. Enfin, on pouvait s’étonner du choix de Vannina Santoni (photo) dans le rôle-titre : celle qui fut en concert une magnifique Manon n’a pas a priori le profil vocal de la très wagnérienne Lucienne Bréval, exigée par Massenet pour créer le personnage. Ce que l’on perd en densité dans le bas de la tessiture, on le gagne en fraîcheur de l’incarnation : Grisélidis n’est déjà que trop vertueuse, si on lui donnait une voix de matrone, elle serait perdue pour le public d’aujourd’hui, et la soprano se tire fort bien de ces descentes dans le grave qui traduisent les émotions extrêmes de l’héroïne. Patience, maintenant : la sortie du disque n’est prévue qu’à l’automne 2024 !
Laurent Bury
Jules Massenet, Grisélidis - Montpellier, Opéra Berlioz le Corum, 2 juin 2023.
Reprise le 4 juillet prochain au Théâtre des Champs-Elysées dans le cadre du Festival Palazzetto Bru Zane Paris // bru-zane.com/fr/evento/griselidis/#
Photo © Marc Ginot
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