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Hiroshi Sugimoto-William Forsythe au Palais Garnier – Japoniaiserie et nonchalance amerloque – Compte-rendu
D’emblée, l’affiche de ce At the Hawk’s Well d’après le texte de William Butler Yeats, lequel donna déjà naissance à un ballet en 1916, est impressionnante : thème onirique magnifique-une femme épervier empêche par sa danse d’accéder au puits d’immortalité- mise en scène et scénographie du plasticien très estimé Hiroshi Sugimoto, déjà intégré à l’Opéra par sa création Breathing pour la 3e scène, filiation avec le Nô, forme suprême de théâtre dansé auquel nous demeurons étrangers, mais que nous admirons tant, avec un peu de crainte. On marche sur les traces du grand poète Yeats, qu’un orientalisme plus exigeant, plus fondamental que celui éveillé au XIXe siècle, rapprocha des sources japonaises, on cite Claudel, parlant comme d’ « une représentation cérémoniale des émotions humaines », on se sent prêt à supporter la musique électronique de Ryoji Ikeda, bref, on cherche l’essence.
Malheur, on n’a qu’une caricature de gestes développés lentement, très lentement par deux personnages masculins, vêtus de tissus brillants comme du papier aluminium, qui évoquent vaguement les splendides kimonos de la tradition, et emmaillotés dans des slips découpés comme des feuillages et ressemblant à des couches culottes, tandis qu’ils sont couronnés de perruques platine, longues et filasses et comme sorties des entrailles du pire Bolchoï années 50. C’est dire que malgré leurs somptueuses statures mises à nu, le puissant Alessio Carbone et le supersonique Hugo Marchand semblent sortis de l’univers des mangas, tandis que Ludmilla Pagliero, en femme épervier aux ailes rouges, tente de les réveiller et qu’une poignée de danseurs, en collants noirs psychédéliques s’agite on ne sait pourquoi.
© Ann Ray - OnP
Le tout sur une chorégraphie des plus académiques d’Alessandro Silvestrin, compositeur et chorégraphe passionné de Nô, sur fond de pans colorés aux couleurs plus proches de celles de Walt Disney- le charme en moins- que de quelque estampe de haut vol. Jusqu’à ce qu’un acteur, Kisho Umewaka, noyé dans la moumoute gigantesque des vieux sages de théâtre, sorte de l’ombre en crachouillant quelques injonctions sûrement très profondes, d’une voix éraillée, donc forcément inspirée, et en brandissant un bâton-canne qu’il retransmettra au héros. Message subtil. Ce qui pourrait être fascinant touche au ridicule. On est sidéré: on attendait tout d’une tentative de relecture du grand art théâtral japonais et de la réflexion métaphysique qui s’y accroche, sauf du mauvais goût ! Et c’est bien le cas, pire que l’ennui.
Evidemment, ce n’est pas le même enjeu pour Blake Works I, de William Forsythe, déjà présenté en 2016 par les danseurs du Ballet de l’Opéra, pour lequel il fut créé. Pas de philosophie, mais un aimable divertissement qui reprend de près les petites manières chicos, les déhanchements de Balanchine et les allures décontractées de Forsythe pour composer une sorte de fantaisie où les danseurs accomplissent gentiment de nombreuses prouesses techniques comme s’ils dansaient le menuet. Dans cet académisme fade qui joue la nonchalance, que reste-t-il de la verdeur, du punch fracassant de Forsythe, lequel, en son temps, dans les années 80, secoua le monde de la danse en faisant atteindre aux danseurs classiques la limite de leur équilibre. Ici, il est vrai qu’on suit la molle trame des musiques de l’anglais trentenaire James Blake, qui engourdissent comme le masticage d’un chewing gum. Et c’est bien à cela que le ballet de Forsythe ressemble: un peu de sucre, des bulles, et lorsqu’elles crèvent, plus rien, sinon les gambettes de Léonore Baulac et de Marion Barbeau, et, grapillée de ci de là, l’élégance sombre de Florent Melac, rieuse de Jeremy-Loup Quer. Ce n’est pas assez.
Jacqueline Thuilleux
Hiroshi Sugimoto-William Forsythe - Paris, Palais Garnier, 3 octobre ; prochaines représentations les 7, 8, 10, 11, 13, 14 et 15 octobre 2019. www.operadeparis.fr
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