Mourir à vingt cinq ans en étant aussi doué est un scandale. Lili Boulanger(1893-1918) avait tout pour elle, la beauté, une présence magnétique, une intelligence confondante et surtout ce que sa sœur Nadia(1887-1979), la Grande Mademoiselle, qui lui survivra un demi-siècle, n’eut jamais, la puissance absolue du génie créateur.

Française par son père, mais russe par sa mère, Lilli savait lire la musique à deux ans, à cinq chantait les mélodies de Fauré qui l’accompagnait au piano. Enfant prodige, certes. Mais ce ne fut rien à côté du coup d’éclat d’un Prix de Rome obtenu en 1913 l’année de ses vingt ans et qui fit l’effet d’une bombe : on le décernait pour la première fois à une femme ! Les bombes justement allaient pleuvoir l’année suivante, contraignant la jeune fille à mettre bien des ombres dans une œuvre où rapidement la sensualité fauréenne allait disparaître derrière les couleurs sombres, les atmosphères claustrophobes d’un mysticisme teinté de dolorisme. Le choc de la Grande Guerre, son hécatombe, sa folie, furent décisifs pour faire de l’acte créateur chez Lilli Boulanger un acte de survie, d’autant que la tuberculose intestinale était à l’œuvre, ne laissant aucun repos à son corps comme à son esprit. Elle arrachera littéralement sa musique à ses souffrances, et ce jusqu’à son ultime souffle, rendu le 15 mars 1918. Claude Debussy s’éteignait dix jours plus tard.

Si l’œuvre est puissante, elle reste mince en volume. Christophe Ghristi en a programmé en deux soirées quelques partitions essentielles dans le cadre intime de l’Auditorium de Bastille. On n’entendra donc pas la version à grand orchestre de son œuvre la plus noire, la plus aboutie, le grand Psaume 130 « Du fond de l’abîme », mais gageons que Geoffroy Jourdain et Les Cris de Paris en saisiront toute l’inextinguible détresse.

On attend beaucoup de Cyrille Dubois (ex-soliste de l’Atelier lyrique de l’Opéra) confronté à la haute tessiture du grand cycle Clairières dans le ciel, la plus juste mise en musique des poèmes de Francis Jammes qui ait jamais été, écho désolé au Dichterliebe schumanien, dont Eric Tappy a laissé un enregistrement justement légendaire. Concerts immanquables, qui nous rappelleront le temps des larmes et du sang, celui de l’horreur d’une boucherie humaine qui dura quatre ans, décima l’Europe, et dont on s’apprête à commémorer le centenaire du carnage, celui-là même qu’au travers des poèmes de Wilfred Owen Benjamin Britten décrivit si justement dans son War Requiem.

Jean-Charles Hoffelé

De Profundis de Lili Boulanger 
Cyrille Dubois (tén.), Florian Sempey (bar.), Yael Raanan Vandor (contr.), Anne Le Bozec (piano), Les Cris de Paris, dir. Geoffroy Jourdain
19 et 20 novembre 2013 - 20h
Paris, Amphithéâtre Bastille
www.operadeparis.fr

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Photo : Lili Boulanger en 1913 © Centre international Nadia et Lili Boulanger