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Illusions perdues, par le Ballet du Bolchoï au Palais Garnier - Et pas retrouvées - Compte-rendu
Procédons par ordre : d’abord, il y a Diana Vishneva, 36 ans, celle qu’on appelle le visage du Bolchoï et qu’on voit relativement peu sous nos latitudes depuis qu’elle se produit surtout à l’American Ballet Theater new yorkais. Une liane, une courbe en perpétuelle révolution, comme grisée par son propre parcours. Lyrique ou tragique, ballerine au profil digne d’être célébré par Musset, danseuse contemporaine aussi par la force de sa personnalité, elle fascine. Les bras alanguis, la pointe moelleuse, le corps noyé comme la Schéhérazade de Fokine, dont elle est la meilleure interprète contemporaine, elle fait revivre un mirage des Ballets Russes, peut– être entre Pavlova et Spessivtseva. On n’imagine pas mieux pour une Dame aux Camélias. Star jusqu’au bout des ailes, star à la scène, à la ville, un peu trop, mais elles sont si rares aujourd’hui dans le monde de la danse qu’on peut bien lui pardonner de cultiver ainsi son image. Ici, en Coralie, elle est à la fois Sylphide et jeune fille désespérée. On pleurerait, si le ballet était bon.
Ensuite, ses partenaires, tous éblouissants: de Rubempré, incarné ce soir là par le juvénile et aérien Vladislav Lantratov, à Florine, la pétulante Ekaterina Shipulina, à la moindre ballerine en tutu. La santé de la maison nargue toutes les autres au monde, le Mariinsky excepté, et la perfection des danseurs russes, qui n’était plus qu’un souvenir il y a vingt ans, s’impose à ce jour de façon explosive. Avec une image de marque qui se fixe dans les bras et la cambrure du dos des ballerines, capables d’abandon, ce qui n’existe que rarement dans le style français.
Puis, le décor, séduisant, de Jérôme Kaplan, décliné dans de douces couleurs sépia, avec une inspiration nettement Degas, en fait qui ramène aux temps de Bournonville, temple du style académique au Danemark, et des costumes délicats qui flottent dans l’air du temps romantique. Une aura mélancolique qui augure du meilleur. Hélas…
Après, il y a Balzac, un tout petit peu. Ce qui reste de ses héros ne touche guère, car les choses se gâtent nettement : Alexeï Ratmansky, ancien directeur du Bolchoï et chorégraphe de cette adaptation supervisée par Guillaume Gallienne, décidément sur tous les fronts, se montre ici en tâcheron de la chorégraphie. On avait beaucoup apprécié à l’Opéra sa fluide Psyché, sur la musique de César Franck, et sa vigoureuse remise à jour de Flammes de Paris, pétaradant à souhait. Mais ici, l’enjeu est subtil, profond, difficile, et la chorégraphie répétitive qui utilise quelques jolies idées en les usant jusqu’à la corde, fait intervenir la pantomime de façon primaire, alors que les évolutions des danseurs, pourtant raffinées, finissent par indifférer tant elles sont vides de sens. En fait, l’idée d’utiliser l’histoire de Balzac en la projetant dans l’univers du ballet, et faisant de Lucien un musicien au lieu d’un poète, date de loin, puisque Rostislav Zakharov la mit en scène au Kirov en 1936. Ratmansky l’a rhabillée d’une chorégraphie qui se voulait plus épurée et lyrique. Mais tout n’y est que fadeur, en l’absence de langage vraiment expressif. Qu’on est loin des grands récits narratifs d’un Cranko, d’un Mac Millan ou d’un Neumeier, et que les ballets de même structure signés de José Martinez ou Kader Belarbi paraissent des chefs-d’œuvre en regard de tant d’inconsistance.
Enfin, et c’est le pire : éliminant la partition originale de Boris Asafiev, dont on avoue qu’on ne la connaît pas, Ratmansky a confié la musique à l’obscur Leonid Desyanitkov, très joué semble- t il en Russie. Celui-ci a donc resserré sous forme d’un vague plagiat où il se défend d’avoir fait des citations précises, des pages de Chopin, Schumann, Fauré ou Ravel, noyées dans un fatras sans consistance. Le piano intervient, puisque Lucien est compositeur, mais il lui arrive de se taire lorsqu’il est censé jouer un ballet composé pour de mauvaises raisons, et non « en écoutant son cœur », dit le compositeur. Brillante idée, mais personne n’a compris. Le chef Igor Dronov arrive à coordonner les interventions du pianiste Lukas Geniusas et des cantatrices Svetlana Shilova et Catherine Trottmann, et à tirer le meilleur de l’Orchestre Colonne. Il a bien du mérite.
Jacqueline Thuilleux
« Illusions perdues » (A. Ratmansky/L. Desyanitkov), Ballet du Théâtre Bolchoï – Paris, Palais Garnier, 4 janvier, prochaines représentations les 8, 9 et 10 janvier 2013.
Photo © Damir Yusupov
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