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Inauguration de la Philharmonie de l’Elbe à Hambourg – Appelez-la « Elphi » - Compte-rendu
Enfin ! La Philharmonie de l’Elbe a été officiellement inaugurée les 11 et 12 janvier au terme d’un très long processus riche en rebondissements et polémiques virulentes (elles entraînèrent entre autres la démission du maire de Hambourg en 2010), inhérentes avant tout à l’explosion des coûts de l’entreprise (865 millions € au bout du compte !).
Initiative privée à l’origine, qui aurait consisté en la transformation du Kaispeicher A (un entrepôt de marchandises désaffecté) en une salle de concerts (budget initial 77 millions €, première pierre posée en 2007), le projet a pris de l’ampleur ; les pouvoirs publics, conscients de l’atout et de l’effet d’entraînement (façon Guggenheim de Bilbao) que pourrait constituer pour la ville un bâtiment de cette nature, sont entrés en jeu. Les architectes suisses Jacques Herzog et Pierre de Meuron – double prix Pritzker 2001 – ont alors déployé leur imagination, pensé « en grand » et ... dû surmonter maintes difficultés.
© Maxim Schulz
Le vieil entrepôt de « Backstein » (nom donné aux briques rouges) n’a plus été que le socle d’un bâtiment splendide, impressionnante vague de verre aux reflets changeants ; la brique et le verre – l’ancrage dans le passé, dans la ville, et la projection dans la modernité. A 37 mètres du sol (au niveau de la jonction entre les deux parties du bâtiment) la « Plaza » (inaugurée dès la fin de l’année passée) : on y accède par un escalier roulant convexe de 82 mètres (montée impressionnante et arrivée au sommet... proprement bluffante !) pour y découvrir une vue imprenable sur l’Elbe, sur l’âme de la cité hanséatique. Fantastische Ausblicke : presque un euphémisme ...
© DR
« Elphi » – sympathique surnom donné à la Philharmonie de l’Elbe – se veut aussi, et est déjà devenue à en juger par la fréquentation de la Plaza depuis son ouverture, le point de convergence de Hambourgeois qui ne cèlent pas leur fierté face à leur Philharmonie. On y trouve deux salles de concerts certes, mais aussi un hôtel 5 * (244 chambres), des appartements de grand standing (44 lots), un parking (500 places). « Das Wunder von Hambourg » (le miracle de Hambourg) titre le supplément du Hamburger Morgen Post : fiers les Hambourgeois ? Ils le peuvent ! Noblesse des matériaux, qualité des finitions (ne nous risquons pas à des comparaisons, forcément très cruelles, avec la Philharmonie de Paris sur ces points – il est vrai que le cost killing y a fait des ravages ...), la réalisation du duo Herzog-De Meuron traduit la dimension essentielle de la musique dans la culture allemande. Un petit détail, anecdotique mais fort révélateur : Baumwall, la station de métro la plus proche d’ «Elphi » porte déjà la mention (Elbphilharmonie) ; déjà, tandis que l’on attend toujours (Philharmonie de Paris) sous Porte de Pantin ...
La Grande Salle de la Philharmonie de l'Elbe © Michael Zapf
Quant à la musique, deux salles (une Grande Salle de 2100 fauteuils et une Petite Salle de 550 places) lui sont dédiées. La Philharmonie de l’Elbe, par rapport à la Philharmonie de Paris, a certes l’inconvénient de ne pas disposer de lieux de répétition distincts, mais peut se prévaloir d’une splendide réussite acoustique dans les deux cas.
L’escale à Hambourg ne nous aura permis d’entendre qu’une répétition de l’excellent ensemble Resonanz (une formation de musique contemporaine en résidence à la Philharmonie de l’Elbe) dans la Petite Salle. Bien assez pour juger de la clarté harmonieuse d’un espace qui ira comme un gant au contemporain, au baroque, à la musique de chambre, au récital de piano, de clavecin ou de chant.
Clarté harmonieuse : la formule vaut autant pour la Grande Salle, disposée « en vignoble », aux murs tapissés de panneaux de fibre de gypse alvéolés et surplombée par un réflecteur acoustique (dans l’esprit du Canopy de la Philharmonie de Paris).
Le programme inaugural, très diversifié, a permis de juger du travail d’orfèvre de l’acousticien japonais Yasuhisa Toyota (président du cabinet Nagata Acoustics America). Du solo, vocal ou instrumental, au grand effectif soli, chœur et orchestre, la Grande Salle séduit par son aptitude à répondre à toutes les configurations.
Message politique sous-jacent ? - c’est par un programme musical résolument européen, dans sa première partie en tout cas, que la Philharmonie de l’Elbe aura été inaugurée, avec pour principal protagoniste le NDR Elbphilharmonie Orchester conduit par son directeur musical Thomas Hengelbrock – artiste que les Français connaissent puisqu’il est aussi en activité à l’Orchestre de Paris aux côtés de Daniel Harding.
Thomas Hengelbrock à la tête du NDR Elbphilharmonie Orchester © Michael Zapf
Nudité du hautbois solo : Pan, tiré des Métamorphoses d’après Ovide, op. 49 de Benjamin Britten, ouvre le concert et montre le jeu souple et d’une parfaite intonation de Kalev Kuljus porté par l’acoustique de la Grande Salle. Sans applaudissement, comme se sera toujours le cas entre les pièces, le Mystère de l’instant de Dutilleux s’enchaîne : Hengelbrock traduit tout le foisonnement et la frémissante étrangeté de la partition - et l’acoustique montre qu’elle ne confond pas netteté du détail et sécheresse.
Un grand saut dans le passé nous attend ensuite avec Philippe Jaroussky (accompagné par la seule harpe de Margret Köll) qui, perché dans les hauteurs de la salle entonne le « Dalle piu alte sfere » tiré de La Pellegrina. Test impitoyable s’il en est que celui d’une voix (quasi)solo dans un tel lieu. Il se révèle plus que concluant, pas une nuance de l’interprétation stylée du Français ne se perd, là comme dans le « Amarilli mia bella » de Caccini. Le bonheur d’écoute et l’intelligence musicale ne sont pas moindres dans le Quam pulchra es de Prætorius par l’Ensemble Prætorius.
Autant de pièces du baroque naissant qui seront venues s’insérer sans l’ombre d’un hiatus entre des ouvrages du XXe siècle sous la direction d'Hengelbrock : Photoptosis de Zimmerman d’abord, que le chef tient admirablement jusqu’à sa paroxystique et aveuglante conclusion. Hommage bienvenu à celui qui dirigea l’Opéra de Hambourg de 1959 à 1973 (avant de prendre les rênes de celui de Paris), le Furioso de Rolf Liebermann rappelle avec un souffle rageur et une belle ampleur lyrique les qualités d’un auteur trop ignoré. Messiaen conclut la première partie avec le final de la Turangalîla (Ya-ou Xie au piano, Thomas Bloch aux ondes Martenot), logiquement enchaîné à l’amoureux « Amarilli mia bella » et d’un élan jubilatoire sous la battue d’Hengelbrock.
© Michael Zapf
Seconde partie : Prélude de Parsifal. On observe les visages des auditeurs ; à l’émotion ressentie à l’écoute de cette pièce géniale s’allie dans le contexte de cette inauguration un profond sentiment d’accomplissement. Emotion visible, palpable ... Moment inoubliable. Le Triptychon und Spruch in memorian Hans Henny Jahnn (sur des textes de H.H. Jahnn) suit, magnifique cycle de quatre lieder spécialement écrit par Wolfgang Rihm pour l’ouverture de la Philharmonie de l’Elbe et dont tant le ténor Pavol Breslik que T. Hengelbrock et des instrumentistes, très investis, cultivent le prégnant et troublant lyrisme. Une partition qui, à l’instar du Furioso de Liebermann, fait appel à l’orgue. Signé Philipp Klais, l’instrument est prêt pour l’inauguration et tenu par Iveta Apkalna.
Rihm s’impose avec évidence entre Wagner et le finale de la 9ème Symphonie de Beethoven, qui surgit à peine la dernière note de l’aphoristique Spruch conclusif éteinte. Beau quatuor : Camilla Tilling, Wiebke Lehmkuhl et Bryn Terfel rejoignent P. Breslik, T. Hengelbrock et ses troupes Le NDR Chor et le Chor des Bayerischen Rundfunk sont présents sur scène depuis le début de la seconde partie : outre la cohérence musicale du programme, la fluidité de son déroulement aura aussi fait partie des atouts d’un soirée qui se referme, « Hymne à la Joie » oblige, de la plus lumineuse façon.
Salle entière debout quelques secondes après la fin du concert pour une aussi longue que fervente ovation.
Alain Cochard
Hambourg, Philharmonie de l’Elbe, 12 janvier 2017
Site de la Philharmonie de l'Elbe : www.elbphilharmonie.de/de/
Photo © Thies Raetzke
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