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Inauguration d'un nouvel orgue positif Blumenroeder à Versailles – La Chapelle royale voit grand – Compte-rendu
En 2013, un premier positif signé Quentin Blumenroeder (Haguenau), orgue coffre bas dont l'élégante décoration peinte reprend des motifs ornementaux de la chapelle royale du château de Versailles, venait enrichir ce lieu si riche d'histoire musicale. Extrêmement utilisé, sur place comme à l'extérieur, cet instrument voyageur (quatre jeux sur un clavier transpositeur, pas de pédalier) a été rejoint ce printemps par un autre positif destiné à la seule chapelle. Également de la manufacture Blumenroeder et commandé par Château de Versailles Spectacles (filiale privée de l’Établissement public du musée et du domaine national de Versailles), il a été présenté ce 21 mai par Laurent Brunner, directeur de CVS, en présence de Catherine Pégard, présidente des deux entités.
© Les deux positifs Blumendoeder de la Chapelle royale de Versailles © Mirou
Ce nouvel instrument est d'une tout autre ampleur, tant visuellement que sur le plan sonore : huit jeux sur deux claviers et pédalier (en tirasse I ou II), dont un principal de 8 pieds (première octave en bourdon), ou encore une régale accordable en 8 ou 16 pieds, possibilité de registration attestée par les documents anciens – l'idée directrice étant de « replacer le grand orgue au centre de l'orchestre ». Chacun sait que, pour l'accompagnement, un positif aux sonorités foncièrement douces (bourdons et flûtes) ou un grand orgue plus principalisant, cela change fondamentalement la donne. Visuellement, lignes et esthétique du nouvel instrument, avec en façade un principal en étain, sont reprises du positif dorsal de l'orgue Silbermann de Sainte-Aurélie de Strasbourg, restitué en 2015 par Quentin Blumenroeder (1). Sur le plan strictement instrumental, le facteur s'est inspiré d'un authentique grand positif Silbermann de 1719 – le seul conservé – restauré par son atelier (2).
Si l'Alsace des Silbermann (originaires de Saxe où Gottfried, frère cadet d'André, retournera en 1709, construisant des orgues, magnifiquement conservés, connus et appréciés de Bach) n'a pu qu'influencer la conception phonique de ce grand positif, sa vocation à trouver place dans tout contexte musical – musique française, allemande, italienne… – imposait une certaine « neutralité », en l'occurrence synonyme de vraie polyvalence et décuplée par la présence de claviers transpositeurs permettant de jouer selon plusieurs diapasons : 392, 415, 440 et 465 (392 et 415 pour le pédalier) – à l'instar du positif de 2013. Ce nouvel orgue de continuo pourra être utilisé pour l'ensemble des événements produits à la chapelle royale, dont les fameux Jeudis musicaux du Centre de musique baroque de Versailles : le dernier des vingt-quatre rendez-vous de la saison 2018-2019 aura lieu le 6 juin à 17 h 30 (3), mais également pour tous les concerts programmés par Château de Versailles Spectacles, qu'ils soient donnés par des forces maison ou des ensembles invités (4).
Ton Koopman © Mirou
L'« éclectisme européen » auquel ce grand positif Blumenroeder entend répondre fut musicalement décliné par les musiciens conviés à toucher l'instrument lors de cette première audition publique. Chef-assistant de la Maîtrise du CMBV et directeur musical de l'Ensemble Sébastien de Brossard, Fabien Armengaud fit entendre deux pages d'Henri Du Mont (né en principauté de Liège, mort à Paris) : une Allemande (évoquant Sweelinck : on est ici au cœur du clavier européen du XVIIe siècle) à l'orgue de 2013, et une Pavane aux claviers du nouvel instrument, sur des jeux de fonds d'une présence telle que l'on eut, de fait, le sentiment d'entendre un grand orgue… au pied de l'autel de la chapelle palatine. Ton Koopman, l'un des parrains de l'instrument, œuvra sur le versant allemand : choral Ich ruf zu dir, Herr Jesu Christ BWV 639 de Bach, ornementé à la manière bien connue et chaleureusement expansive de l'interprète, belle démonstration de l'extrême mais vivante stabilité du vent, puis la bondissante Fuga en ut majeur BuxWV 174 de Buxtehude, merveilleuse « gigue » manualiter. À noter que le label discographique Château de Versailles Spectacles s'apprête à publier plusieurs albums enregistrés au grand orgue de la chapelle royale, dont un programme Ton Koopman : Clérambault, Couperin, Bach.
Jean-Baptiste Robin (photo), l'un des quatre titulaires du grand Robert Clicquot reconstruit à l'identique par Boisseau-Cattiaux en 1995, improvisa ensuite – sur le thème de la Marche pour la cérémonie des Turcs de Lully, l'un des emblèmes musicaux de CVS – des variations très françaises de ton et superbement ciselées : au gré d'un renouvellement constant de la forme, il offrit un survol très suggestif de la palette du nouveau positif, faisant notamment entendre le jeu de Basson du premier clavier (moitié inférieure uniquement), impressionnant de vivacité d'élocution et délicieusement timbré, évoquant à s'y méprendre un authentique basson français d'orchestre. Si ce Basson typique de Silbermann, qui apporte aux mélanges de timbres une présence et un grain caractéristiques, a complètement disparu des instruments conservés, les mesures précises qui en avaient été faites en 1836 ont servi à concevoir, telle une résurrection, celui du positif de Versailles.
Gaétan Jarry, Jean-Baptiste Robin et Ton Koopman © Mirou
Ce grand positif de continuo a aussi vocation à se produire en soliste (de quoi combler Haendel). Gaétan Jarry (qui doit enregistrer au grand orgue un programme de Noëls pour le label CVS), cotitulaire de Sainte-Jeanne-d'Arc de Versailles (ancien Müller du Studio 103 de Radio France) et de Saint-Gervais à Paris, et Nicolas Bucher, directeur du CMBV (5), en offrirent une éloquente démonstration, le premier au petit positif : l'orchestre, le second au grand positif : le soliste – Sinfonia de la Cantate BWV 29 de Bach (à haut risque !), puis deux mouvements du Concerto n°2 en la majeur de Michel Corrette, avec inversion des rôles. Idéal pour confirmer la belle et grande présence du nouveau venu, lequel remplit avec aisance le volume pourtant considérable de la chapelle : la résonnance à chaque lâcher ne laissa à cet égard aucun doute.
Si l'utilisation des deux splendides positifs Blumenroeder est assurée, qu'en est-il présentement du grand orgue Clicquot de tribune, relevé en 2010 (6) ? Lui aussi, en fait, est intensément sollicité, qu'il s'agisse, une fois par mois, de l'audition-présentation du dimanche après-midi, de sa participation à nombre d'événements musicaux se déroulant dans la chapelle ou d'animations pédagogiques – il est également requis pour les étudiants du CRR de Versailles et d'autres conservatoires (Paris, Lyon) en tant que « prototype » de la facture classique française au temps de Couperin. Mais de concert à proprement parler, point – aussi pour des raisons budgétaires en lien avec les impératifs de sécurité. Également programmé au catalogue du label CVS : Dandrieu en miroir, de sa musique de chambre à celle pour orgue, Jean-Baptiste Robin donnera pourtant, afin de fêter la sortie de l'enregistrement, un concert en soirée – le premier, sauf erreur, depuis de trop longues années. Du succès de ce concert orgue, trompette et percussions pourrait dépendre la reprise des récitals au grand orgue de la chapelle royale de Versailles. Une date, donc, à noter précieusement : mardi 3 décembre 2019. Puisse la chapelle palatine alors honorablement remplie convaincre du bien-fondé d'une véritable saison d'orgue sur cet instrument d'exception.
Michel Roubinet
Versailles, chapelle royale du château, 21 mai 2019
www.chateauversailles-spectacles.fr
(1) decouverte.orgue.free.fr/orgues/staureli.htm
(2) www.concertclassic.com/article/stephanie-paulet-et-elisabeth-geiger-leglise-de-sainte-madeleine-de-strasbourg-singuliere
(3) www.cmbv.fr/24-jeudis-musicaux-en-2018-2019/
(4) www.chateauversailles-spectacles.fr
(5) www.concertclassic.com/article/nicolas-bucher-aux-mercredis-de-lorgue-de-radio-france-le-baroque-francais-en-ouverture-de
(6) www.concertclassic.com/article/compte-rendu-tricentenaire-de-la-chapelle-du-chateau-de-versailles
Photo © Mirou
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