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Interview : Anne-Catherine Gillet triomphe à Toulouse
Une Despina décoiffante, une Zdenka survoltée, à chaque rôle qu’elle aborde, Anne-Catherine Gillet donne la pleine mesure d’une voix qui envisage enfin les grands emplois lyriques. Petite conversation avec cette artiste en quasi résidence au Capitole de Toulouse cette saison, où elle aborde à la demande de Nicolas Joel quatre nouveaux personnages.
Quels souvenirs gardez vous de vos deux professeurs, Jules Bastin et Isabel Garcizans ?
Anne-Catherine Gillet : « Jules Bastin est mort peu de temps après mon entrée au Conservatoire, mais je lui dois probablement ma diction. Il insistait beaucoup sur ce point, et comme vous le savez c’était également un acteur prodigieux. Sur ce terrain là nous nous entendions parfaitement. Bastin s’embarrassait peu de technique, il laissait son épouse s’occuper de cela. Quant à Isabel Garcizans, elle est arrivé au bon moment. C’est la rigueur incarnée. Au moment où je négligeais par trop la technique, elle m’a imposé une discipline de fer, et je l’en remercie aujourd’hui. Elle savait avant moi quels seraient mes emplois futurs, et me disait : « tu n’es pas Despina, tu es Fiordilligi ». Je commence à comprendre que sur ce point également elle avait raison ».
Que vous ont apportées vos années en troupe à l’Opéra Royal de Wallonie ?
Anne-Catherine Gillet : « Tout. Mes parents n’étaient pas versés dans la musique classique et le seul disque de piano que nous avions à la maison était un album de Richard Clayderman. Donc, les années passée à l’Opéra de Liège m’ont strictement tout appris : le répertoire, le rapport à la scène, le travail avec les répétiteurs, les chefs, les metteurs en scène. A me familiariser avec quantités de rôles secondaires qui me permettaient de prendre pied dans le monde de lyrique ».
En vous voyant en scène, on a le sentiment que vous êtes une actrice naturelle.
Anne-Catherine Gillet : « Avant même de chanter j’adorais jouer la comédie. Enfant je construisais avec trois manches à balais un petit théâtre où je donnais mes spectacles. J’ai toujours eu un goût pour la représentation. Et ce qui m’intéresse à l’opéra, ce sont les caractères, incarner des personnages. Je les choisi assez proche de moi, j’aime les personnalités trépidantes, l’énergie, une certaine nervosité, l’exaltation ».
Oui, on dirait que vous nous brossez le portrait de la Zdenka d’Arabella que vous chantiez pour la première fois hier.
Anne-Catherine Gillet : « C’est un personnage dont je me sens proche, je crois bien le comprendre. Une jeune fille au bord du précipice, avec un grand sens du sacrifice. Voyez comme elle pousse Matteo, qu’elle aime, dans les bras de sa sœur, et la tristesse qu’elle ressent lorsque celle ci le repousse. Et le rôle est particulièrement exigeant, on donne quasiment tout dès son entrée en scène, rien n’est écrit là dedans pour vous épargner et j’aime cela ».
Vos débuts à Toulouse ont eu lieu dans la mise en scène du Ring par Nicolas Jöel. Quelle impression vous a laissé ce premier engagement au Capitole ?
Anne-Catherine Gillet : « Le sentiment d’avoir trouvé une seconde famille. Toute l’équipe est aux petits soins, les relations sont chaleureuses et toujours pimentées d’une bonne dose d’humour, ce qui n’empêche pas de travailler dur. Je me sens en confiance totale au Capitole ».
Lorsqu’on vous entend dans un nouveau rôle, on a le sentiment que vous créez le personnage ex nihilo. De même rien dans votre chant ne rappelle les grandes chanteuses qui ont marqué le rôle au disque avant vous.
Anne-Catherine Gillet : « Pourtant je les écoute beaucoup, pour Zdenka, j’ai longuement fréquenté la gravure d’Hilde Güden ».
Et bien cela ne s’entend pas. Peut être parce que votre jeu est si totalement convaincant. Comment faites vous pour être aussi à l’aise sur les planches ?
Anne-Catherine Gillet : Cela va vous sembler étrange, mais je crois que c’est à cause du trac.
Vous, avoir le trac ?
Anne-Catherine Gillet : « Si je vous assure. Le matin je me lève en me disant que tout compte fait je vais tout arrêter, commencer une vie normale, ouvrir un salon de thé à Namur, avoir les horaires de tout le monde, une vie de famille tranquille. Et tout cela à cause du trac. Je souffre tellement du trac que je préfère les représentations en matinée aux soirées. On a pas le temps de trop penser entre le réveil et l’entrée en scène. Mais évidemment, dés que je suis devant le public, le trac disparaît, il faudrait probablement que je ne quitte jamais les planches ».
En vous entendant en Despina, la vraie Despina, pas celle qu’on confie à des soprano trop légères qui pérorent en voix de tête, une Despina au soprano assis, avec du médium et du caractère, donc en vous entendant en Despina, je pensais que vous pourriez sans problème passer directement à la Comtesse des Noces de Figaro en zappant Suzanne….
Anne-Catherine Gillet : « Je ne crois pas ».
Mais enfin, c’est évident, vous allez vers les grands rôles lyriques comme vous le prédisait Isabel Garcizans….
Anne-Catherine Gillet : « Tout cela est plus complexe. Au début de ma carrière j’étais obsédé par mes aigus. Il y a une véritable jouissance, vous savez, à cultiver ses aigus. C‘est enivrant. Et maintenant cela m’a passé. En fait je ne pense pas à ce qu’est ma voix, je ne me projette pas non plus dans des rôles. Vous voyez, je ne vais pas me dire dans cinq ans je chanterais tel rôle….D’ailleurs on me propose des rôles et si je me sens prête j’accepte. C’est l’occasion de découvertes que j’aurais pu manquer en me fixant moi même les emplois pour lesquels je me serais cru taillée. Comme cela j’ai pu découvrir les opéras de Jean-Michel Damase, en acceptant le rôle titre de l’Héritière que me proposait Renée Auphan qui en avait été la créatrice ; non, plutôt que la tessiture, c’est le caractère du personnage qui m’intéresse d’abord. Je pourrais peut-être chanter la Comtesse, mais sa placidité, sa douceur, le ton très serein de son personnage ne me conviennent pas ».
Mais Mélisande vous interpelle….
Anne-Catherine Gillet : « C’est une personnage plus complexe, avec beaucoup de zone d’ombres, des drames, des questionnements. Comment peut-on lui résister ».
Avez-vous songer au récital ?
Anne-Catherine Gillet : « Oui, mais encore une fois c’est la scène qui est ma vie ».
Des projets discographiques ?
Anne-Catherine Gillet : « Aucun, je ne m’en occupe pas, j’ai trop à donner au théâtre ».
Des captations en DVD finiront bien par illustrer vos rôles.
Anne-Catherine Gillet : « Qui sait ».
Entretien réalisé par Jean-Charles Hoffelé à Toulouse, Foyer du Théâtre du Capitole, le 25 février 2006.
Photo : DR
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