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Interview de Sondra Radvanovsky, soprano – « Aida est la plus belle musique de Verdi »
La saison 2015-2016 restera sans doute comme la plus importante de votre carrière, puisque vous avez réussi l'exploit d'incarner la même année au Met de New York, la trilogie Tudor de Donizetti : Anna Bolena, Maria Stuarda et Elisabetta de Roberto Devereux. Que ressentez-vous après cet exploit vocal et quels souvenirs en gardez-vous ?
Sondra RADVANOVSKY : Pour tout vous dire je n'ai pas encore pris le temps d'y penser, tout s'est passé si vite ! D'autant que je viens de chanter Tosca à Munich. Après Aida j'aurai deux mois de vacances et j'imagine que je pourrais me mettre à y réfléchir, mais aujourd'hui je suis ici, à Paris, pour Aida que j'aime énormément. Vous savez, mon métier m'oblige à compartimenter ma vie. Si j'essaie d'analyser ce qui m'est arrivé cette saison, je peux vous assurer que par-delà le plaisir de les avoir chantés, ces trois opéras m'ont éprouvée, physiquement et émotionnellement. A la dernière de Roberto Devereux j'ai ressenti une telle fatigue, que je me suis demandé si j'allais pouvoir chanter autre chose ! Cet ouvrage est un véritable défi car c'est de loin le plus difficile.
Quelles dispositions mentales et physiques demandent ces trois opéras, composés rappelons-le pour trois cantatrices différentes : Pasta pour Bolena, Malibran pour Stuarda et Grisi pour Elisabetta de Roberto Devereux ?
S.R. : Bonne question ! Tout a commencé avec Anna Bolena que j'ai retrouvée en octobre. A ce moment là je ne pensais qu'à elle et elle a occupé tout mon temps et mon esprit, jusqu'au moment où j'ai dû passer à Stuarda, en janvier et février. Puis de février à avril tout s'est concentré sur Roberto Devereux, avec une pause entre les deux où j'ai interprété Tosca et Manon Lescaut et donné un récital avec piano. La trilogie est en effet extrêmement différente d'un point de vue vocal : Bolena a été écrite pour une tessiture très basse, Stuarda est au contraire plus haute et comporte de longues phrases pianissimo, la prière notamment et enfin Devereux brosse le portrait d'une femme en colère, qui souffre et ce rôle comporte le plus grand nombre de coloratures, les plus dures du répertoire. Je n'ai pu penser qu'à l'une, après l'autre, car elles ont des caractères radicalement opposés, ce sont des reines, mais elles ne se ressemblent pas si l'on excepte le fait qu'elles vivent chacune une histoire d'amour compliquée. Ce sont trois reines que tout le monde connaît, sur lesquelles on a beaucoup écrit. Tout doit donc être aigu et précis, ce qui implique un grand travail préparatoire.
Autre trait commun et original, le fait que cette trilogie a été confiée au metteur en scène David McVicar. Qu'est-ce que cela a apporté au projet ?
S.R. : Sa présence a été pour moi une chance. Nous nous entendons très bien et nous connaissons depuis longtemps. J'ai travaillé avec lui à plusieurs reprises et nous avons commencé à parler de la trilogie deux ans avant de reprendre Anna Bolena : la proposition a évidemment évolué par rapport à la version initiale avec Anna Netrebko ; nous avons modifié les costumes, les perruques surtout pour le finale où je portais les cheveux courts, comme cela s'était passé historiquement, pour coller à la réalité. Mon interprétation de Maria Stuarda était également différente de celle incarnée par Joyce DiDonato et David m'a aidée à imposer ma marque pour faire ce que je pensais. Avec Devereux c’était un peu différent car il s'agissait d'une création et non d'une reprise et tout a été merveilleux, j'étais ravie de venir travailler tous les matins pour façonner un personnage, le bâtir et j'ai adoré faire cela même si c'était difficile. Cette femme était dure, mais dans cet opéra elle est triste, vit une histoire d'amour douloureuse et tous ces éléments agissent sur son caractère. Nous avons essayé d'être justes historiquement, chaque mouvement, chaque geste ayant été étudié : j'ai perdu douze kilos en raison de l'investissement et du poids des costumes et plusieurs personnes m'ont demandé quel régime j’avais suivi (rires) ! J'ai répondu que c’était grâce à Donizetti ; j'aimerais tant retravailler avec David, c'est un grand artiste.
Vous n'étiez cependant pas prédisposée à interpréter les plus grand rôles du répertoire belcantiste, puisque vous vous êtes d'abord fait connaître dans les spinti verdien : pouvez-vous nous rappeler les raisons de ce changement de cap, survenu en 2002 ?
S.R. : Oui bien sûr, j'ai subi une opération chirurgicale cette année là, comme beaucoup de chanteurs qui ont des difficultés récurrentes avec leur instrument. J'avais dans mon enfance été opérée et sans que je le sache on avait dû toucher une de mes cordes vocales sur laquelle avec le temps une sorte de callosité s'était formée. J'ai pourtant chanté avec cette « anomalie » que je me suis finalement fait retirer. Je ne savais pas si je pourrais chanter de nouveau, car j'ai dû rester deux mois sans ouvrir la bouche et sans savoir si l'opération allait être ou non un succès. J'ai par chance recouvré l'usage de ma voix, qui était cependant différente : tout était revenu, mais j'avais en quelque sorte un nouvel instrument. J'étais habituée à chanter Verdi et Puccini, mais je ne pensais pas pouvoir aborder le bel canto et pourtant mon coach Tony Manoli m'a proposé d'essayer, car j'étais en mesure de chanter pianissimo, alors qu'avant l'opération je ne pouvais pas chaque soir, car je me fatiguais. Nous avons donc travaillé Lucrezia Borgia, que Placido Domingo m'a demandé d'aborder peu après m'avoir entendue dans Luisa Miller : son intuition était bonne. Je l'ai écouté et j'ai appris le rôle avec confiance pour le donner à Washington avec un vif succès. Le Met est venu me demander un an plus tard si je voulais bien la reprendre et après avoir pris le temps de la réflexion, j'ai accepté. C'était le début de ma nouvelle carrière, mais je vous assure que si dix ans auparavant on m'avait dit que je chanterai Norma, autre personnage que j'aime énormément, je ne l'aurais jamais cru.
Depuis vous alternez avec succès Verdi/Puccini et Donizetti/Bellini qui sont vos deux axes principaux, comme le prouve cette invitation à la Bastille pour chanter Aida, après I Vespri siciliani, Il Trovatore et Don Carlo. La production reprise à la Bastille signée Olivier Py a été très controversée à sa création. Dans quel état d'esprit se sent-on lorsque l'on reprend un spectacle qui a fait polémique ?
S.R. : Par chance cette production bénéficie d'un cast magnifique et c'est un plaisir pour moi, car je vais pouvoir privilégier la musique qui est, à mon avis, la plus belle de Verdi. C'est selon moi son chef-d'œuvre en raison de ses chœurs, de ses duos et de ses airs qui sont tellement beaux. Quand on a de grands collègues, un chef formidable et des chœurs somptueux, on ne peut qu'être heureux ! Je ferai ce qui m'est demandé scéniquement, c'est mon job, mais je sais que je ne pourrais pas tout changer ; la couleur or par exemple, je ne pourrais rien faire pour l'atténuer, mais rien ne m'empêchera de faire ressortir ma personnalité grâce à ma voix et à mon interprétation. Aida est pour moi l'opposée d'Amneris, vocalement la musique qui la caractérise est plus douce, plus sensible, alors que celle de sa rivale est plus agressive et ses interventions plus fortes, plus marquées. Nous devons trouver ces oppositions et exprimer ces différences. La distribution réunie à Paris va aider le public à transcender la production.
Qu'est ce qui a changé dans votre interprétation depuis que vous côtoyez Aida ?
S.R. : Quand j'ai abordé Aida je ne pouvais pas exécuter toutes les nuances que je souhaitais et l'ut de « O patria mia » doux et piano, m'était impossible. Maintenant je peux l'exécuter comme il est écrit, j'en suis heureuse et je vais même essayer de faire ce que faisait Maria Callas à Mexico, à la fin du « Triomphe » au second acte... Je peux désormais nuancer, varier et trouver de nouvelles choses à exprimer. Elle est innocente et se retrouve dans des conditions malheureuses, esclave, alors qu'elle est noble. Un peu comme Diana. J'ai chanté Aida à Vienne dans une production traditionnelle et je suis contente de la retrouver, car cela me permet de la faire évoluer.
En dehors des chefs, des metteurs en scène et des collègues, comment construisez-vous un personnage ? Trouvez-vous toujours tout ce que vous cherchez dans la partition, où avez-vous besoin des autres, d'un costume, d'un décor, d'une lecture pour le nourrir ?
S.R. : C'est une question difficile : pour Elisabetta de Roberto Devereux, ma dernière prise de rôle, j'ai commencé avec la musique, car Donizetti comme Verdi d'ailleurs, a tout écrit et l'on trouve l'essentiel dans la partition. J'ai lu aussi beaucoup sur le personnage, sur sa vie, sur la période, puis ai eu l’opportunité de travailler avec un coach. C'est toujours utile, car l'opéra c'est du chant, mais c'est aussi du jeu, surtout aujourd’hui où l'aspect visuel est capital. Les deux doivent impérativement se rencontrer. Jouer est pour moi très important d'autant que j'ai suivi des cours et obtenu un diplôme. J'aime chercher comment un personnage doit bouger, se déplacer, se présenter face aux autres. Elisabetta marche différemment d'une femme du peuple, ou d'une jeune femme. J'avais une canne pour affirmer sa démarche et cela m'a permis de trouver des choses intéressantes. Je me pose toujours des questions. J’espère tant chanter à nouveau cet opéra. A Paris ce sera Maria Agresta qui aura la chance de le donner dans la production du Met, pour ma part j'ai un projet à Barcelone en 2017-2018 et en Amérique.
Cet été, après une saison marathon, vous retrouverez la douceur du Festival catalan de Castell Peralada où vous avez été Norma en 2014. Qu'aimez-vous lorsque vous chantez en plein air et que trouvez-vous d’unique à Peralada ?
S.R. : J'adore Peralada, le vin qui est si bon, j'aime également entendre les oiseaux claquer du bec dans la nuit. La première fois, j'ai cru que l'on m'applaudissait, mais il s'agissait des oiseaux, c'est tellement inattendu. Lorsque je vais à Peralada j'ai le sentiment d'aller retrouver des membres de ma famille, je suis entourée de gens tellement délicieux, l'atmosphère est vraiment particulière. Chanter dans de telles conditions est un privilège et le public est vraiment amateur de musique ; les Espagnols sont vraiment formidables. La perspective de me retrouver quelques jours en Catalogne dans ce cadre merveilleux est pour moi synonyme de détente et de vacances que je vais pouvoir partager avec de magnifiques collègues : Leo Nucci, Carlos Álvarez, Marcelo Álvarez, Ruggero Raimondi et Eva Maria Westbroek. J'ai prévu de chanter « Vissi d'arte », le duo du Trovatore avec Carlos, l'air de Russalka ...
Vous venez d'obtenir la nationalité canadienne en février dernier. Qu'est-ce que cela vous procure ?
S.R. : Tellement, pour moi qui y habite depuis seize ans : j'y suis enfin parvenue ! C'est un bonheur d'être canadienne, surtout aujourd’hui avec Donald Trump qui brigue la présidence des Etats-Unis, mon Dieu, quel désastre pour ce pays. Justin Trudeau est un homme bon, juste et sensé, quelqu'un de normal. Il sait ce qu'est la politique et il est proche des gens. Rien à avoir avec Trump qui est un homme d'affaires. J'aime également le Canada car c'est un pays très européen.
Propos recueillis et traduits de l'anglais par François Lesueur, le 7 juin 2016
(1) Liudmyla Monastyrska assurera les représentations des 7, 10, 13 et 16 juillet 2016
Verdi : Aida
Opéra Bastille
13, 16, 19, 22, 25, 28 juin, 1er, 4, 7, 9, 10, 12, 13 et 16 juillet 2016 / www.concertclassic.com/concert/aida-de-verdi-par-olivier-py
Photo © Guergana Damianova - Opéra national de Paris
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