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Jan Lisiecki en récital au Théâtre des Champs-Elysées – La force tranquille – Compte-rendu
Jan Lisiecki en récital au Théâtre des Champs-Elysées – La force tranquille – Compte-rendu
Il n’a plus rien de l’enfant prodige lancé si tôt dans l’arène, dès ses neuf ans, le jeune homme bouclé comme « sorti du ciseau de Praxitèle », aurait dit le poète, et qui s’avance sur l’estrade avec l’impassibilité d’un empereur romain. Impressionnante figure enfoncée aussitôt dans son clavier, qu’il fréquente à un rythme effréné tant sont nombreux ses concerts à travers le monde. Lorsqu’on a commencé à côtoyer le phénomène, il y a une dizaine d’années, on s’est dit qu’il paraissait un peu décevant : trop lisse, trop classique, comme absent, malgré des moyens qu’on acceptait comme exceptionnels, à l’évidence.
© Christoph Köslin
Le temps a passé, et lorsqu’on l’entend à ce jour, l’impression se mue très vite en une adhésion un peu étrange. Pour ce récital Chopin – forcément, pour le Canadien d’origine si fortement polonaise, encore qu’il joue Beethoven fréquemment à ce jour – il avait choisi d’alterner (sous le titre « Poèmes de la nuit ») Etudes et Nocturnes (1), pour renouveler l’écoute Dans les premiers moments, au début du concert, le climat était plutôt un rien austère, les pièces tracées avec un toucher qui n’est pas forcément son point fort, car il en découle une sorte de monochromie. Puis, peu à peu, la personnalité hors normes du pianiste a rejoint celle du compositeur : d’académique, le jeu est devenu profond, l’équilibre un peu plane s’est révélé subtil dosage, l’avancée dans l’univers de Chopin s’est faite enveloppante, la sérénité est apparue comme maturité. La douceur et la nostalgie si chantantes des Nocturnes, notamment l’Op.32 n°2 en la bémol majeur et l’Opus Posthume en do dièse mineur ont pénétré les sensibilités d’un public que les maniérismes de tant de jeunes pianistes d’aujourd’hui obsédés par leur ego ou dépassés par leur virtuosité galopante, n’avait ni lassé ni fracassé. La musique jouait son jeu, et l’interprète se coulait dedans, sans affectation ni tapage.
Dans sa simplicité, la retenue n’était pas sans rappeler le jeu si clair, comme évident, d’un certain Artur Rubinstein, pour ce que ses enregistrements nous en laissent percevoir. Aucune tentative de séduction, aucune démonstration diabolique, aucune corde raide, la poésie tout simplement, qui ouvrait des portes comme dans un jardin de Watteau. Et en choc final, l’Etude Op. 10 n°12 « Révolutionnaire » qui disait combien la musique peut être cri. Ce cri, Jan Lisiecki l’a poussé de façon brûlante, comme un cheval fou, mais sans en détruire le tourbillon d’harmonies contradictoires. Une sortie de terrain qui disait combien l’interprète a en lui de ressources, qu’il faut prendre le temps de décrypter.
Jacqueline Thuilleux
Le temps a passé, et lorsqu’on l’entend à ce jour, l’impression se mue très vite en une adhésion un peu étrange. Pour ce récital Chopin – forcément, pour le Canadien d’origine si fortement polonaise, encore qu’il joue Beethoven fréquemment à ce jour – il avait choisi d’alterner (sous le titre « Poèmes de la nuit ») Etudes et Nocturnes (1), pour renouveler l’écoute Dans les premiers moments, au début du concert, le climat était plutôt un rien austère, les pièces tracées avec un toucher qui n’est pas forcément son point fort, car il en découle une sorte de monochromie. Puis, peu à peu, la personnalité hors normes du pianiste a rejoint celle du compositeur : d’académique, le jeu est devenu profond, l’équilibre un peu plane s’est révélé subtil dosage, l’avancée dans l’univers de Chopin s’est faite enveloppante, la sérénité est apparue comme maturité. La douceur et la nostalgie si chantantes des Nocturnes, notamment l’Op.32 n°2 en la bémol majeur et l’Opus Posthume en do dièse mineur ont pénétré les sensibilités d’un public que les maniérismes de tant de jeunes pianistes d’aujourd’hui obsédés par leur ego ou dépassés par leur virtuosité galopante, n’avait ni lassé ni fracassé. La musique jouait son jeu, et l’interprète se coulait dedans, sans affectation ni tapage.
Dans sa simplicité, la retenue n’était pas sans rappeler le jeu si clair, comme évident, d’un certain Artur Rubinstein, pour ce que ses enregistrements nous en laissent percevoir. Aucune tentative de séduction, aucune démonstration diabolique, aucune corde raide, la poésie tout simplement, qui ouvrait des portes comme dans un jardin de Watteau. Et en choc final, l’Etude Op. 10 n°12 « Révolutionnaire » qui disait combien la musique peut être cri. Ce cri, Jan Lisiecki l’a poussé de façon brûlante, comme un cheval fou, mais sans en détruire le tourbillon d’harmonies contradictoires. Une sortie de terrain qui disait combien l’interprète a en lui de ressources, qu’il faut prendre le temps de décrypter.
Jacqueline Thuilleux
Paris, Théâtre des Champs-Elysées, 13 mai 2022 // Programme complet : fr.calameo.com/read/0042638915a523d2ac065
Photo © janlisiecki.com
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