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Jerome Robbins-Alexeï Ratmansky au Palais Garnier - Sur un nuage - Compte-rendu
Un programme infiniment plus séduisant que celui composé lors de la création de Psyché de Ratmansky en 2011. A l’époque, le nouveau ballet avait été précédé d’une reprise du Phèdre de Lifar, pièce d’anthologie certes, mais raide et d’un dramatisme figé, comme pour inscrire le mythe dans le marbre. A l’antique, bien sûr, mais bien démodé.
Cette fois, la délicate Psyché est associée à plus délicat encore : le Dances at a gathering de Robbins, œuvre maîtresse de ce chorégraphe à l’élégance souple et précise, dont l’apparente décontraction fit merveille aussi bien dans Bernstein que Chopin, dont il a utilisé ici 17 pièces : celle-ci sont déroulées en un entrecroisement de couples et de pas apparemment sans motif, sinon le plaisir pour la jeunesse de humer les émotions de rencontres furtives et pour le chorégraphe d’évoquer à coups de bottes légères le souvenir d’une Pologne si aimée de Chopin.
Chorégraphie d’une extrême difficulté qui doit donner l’impression d’un total naturel, et que par chance les danseurs de l’Opéra semblent adorer danser. Ils le font avec une finesse et un chic merveilleux, des étoiles aux sujets, du sublime Matthieu Ganio, arbitre des élégances, à l’impalpable Ludmilla Pagliero et à l’étincelant Emmanuel Thibault, de l’elfique Josua Hoffalt au rayonnant Karl Paquette, très en forme, et à la grâce piquante d’Aurélie Dupont.
Aurélie Dupont qu’on a un peu regrettée dans Psyché, à laquelle, à la création, elle prêta sa féminité alanguie, là où Laetitia Pujol trace avec application un personnage délicat mais un peu trop désincarné. Certes c’est le propos de l’âme, comme le veulent le mythe et le mot, mais l’histoire de Psyché, dont Ratmansky n’a gardé que le thème essentiel, est bien plus complexe, puisqu’aimée par l’Amour lui-même, elle ne peut le regarder et n’a pas le droit d’accéder à sa peine connaissance. Transgressant l’interdit, elle est contrainte d’expier sa faute en endurant des épreuves cruelles avant d’accéder enfin – plus chanceuse que Sémélé- au Nirvana des unions éternelles.
Mélange de thème platonicien repris par l’auteur latin Apulée, de philosophie messianique et de sensualité hédoniste que cette séduisante Psyché aux multiples résonances. La musique de César Franck y développe des trésors mélodiques, et le thème principal s’épanouit comme un parfum, auquel Alexeï Ratmansky a été particulièrement sensible. On lui sait gré d’avoir été inspiré par cette musique splendide si désertée des salles de concert françaises. Son propos tout en douceur, développé en une chorégraphie fluide, des plus classiques, s’habille de couleurs naïves, de motifs kitsch dus à la décoratrice Karen Kilimnik, qui donnent à l’histoire des allures de Songe d’une nuit d’été.
L’on plonge dans ce voyage initiatique où les deux héros sont noyés dans une sorte de paradis perdu puis retrouvé, comme en un doux rêve d’âge d’or. Marc Moreau, pointu et vivace Amour façon Puck, en tire les ficelles avec une juvénile fraîcheur tandis que dominant ce monde coloré, Alice Renavand, sculpturale Vénus-Titania, fait oublier tout ce qui se passe sur scène quand sa robe rouge y paraît. Un personnage marquant que cette danseuse, qu’on ne se lasse pas de redécouvrir dans ses métamorphoses successives.
Jacqueline Thuilleux
Palais Garnier, le 19 juin, prochaines représentations les 23, 25, 29 juin & les 1, 2, 3, 4, 5,7 juillet 2014. www.concertclassic.com/concert/robbins-ratmansky
Photo © Agathe Poupeney / Opéra national de Paris
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