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Jules Matton, lauréat du 20ème Grand Prix Lycéen des Compositeurs – Un parcours atypique

C’est fait ! Alors que nous publions ces lignes, le nom du lauréat du Grand Prix Lycéen des Compositeurs vient d’être officiellement proclamé ce 4 avril à la Maison de la Radio : Jules Matton (photo, né en 1988) a eu la préférence des plus 3000 lycéens qui participaient à la 20ème édition du GPLC (la sélection comprenait en outre Patrick Burgan, David Hudry, Kryštof Mařatka, Florentine Mulsant et Gérard Pesson). Un Grand Prix Lycéen organisé, rappelons-le, à l’initiative de Musique Nouvelle en Liberté afin de diffuser la musique contemporaine en milieu scolaire.

Comme tant d’autres, c’est par le piano que J. Matton en venu à la musique. Enfant, il étudie en cours privés avec Valery Sigalevitch (ancien élève de Vera Goronostayeva au Conservatoire de Moscou et de Nikita Magaloff à Genève). A 13 ans, il prend le chemin du Conservatoire de Paris, pour y travailler auprès de Billy Eidi, Emmanuel Mercier et Pierre Reach entre autres. Mais la musique n’est pas son unique centre d’intérêt et à 19 ans, son Prix de piano en poche, il décide d’entreprendre une licence de philosophie à l’Institut Catholique de Paris.
Composer ? L’envie se fait de plus en pressante pour le jeune artiste, mais reste à trouver un cadre adapté à son tempérament ... « Je me suis rendu compte qu’à Paris et qu’en France de manière générale le style était assez biaisé et qu’il m’était en tout cas difficile d’être parfaitement libre vis à vis de ce que j’avais envie d’écrire », confie celui qui est « entré dans le XXe siècle par Chostakovitch » et éprouve une véritable fascination pour Alfred Schnittke.
 
D’aucuns conseillent alors à J. Matton de s’intéresser à la Juilliard School. «Je me suis renseigné sur les compositeurs qui enseignaient là-bas, que je ne connaissais pas à l’époque – on connaît très mal les compositeurs américains en France – et j’ai découvert des noms tels que ceux de Christophe Rouse et John Corigliano. Leur musique m’a plu ; j’ai décidé de passer l’examen d’entrée à la Juilliard, où j’ai étudié de 2010 à 2013, pendant deux années avec Christopher Rouse, la dernière avec John Corigliano. »
J. Matton fait évidemment son miel de l’exemple et des conseils de ce deux célèbres créateurs, mais il est un autre professeur, Philip Lasser, l’un des tout derniers élèves de Nadia Boulanger, qui aura énormément compté aussi. Professeur d’harmonie et de contrepoint, son apport se révèle « fondamental » pour le jeune compositeur en devenir.
 

Commande du Trio Suyana (qui en a donné la création en juin 2014), le Trio pour violon, violoncelle et piano est l’ouvrage qui a emporté l’adhésion des lycéens, dans l’interprétation de Marc Villefon (violon), Cédric Conchon (violoncelle) et Guillaume Vincent (piano) – elle figure au programme d’un très beau disque monographique publié l’an dernier chez Fondamenta (1). Une œuvre « de jeunesse », représentative de la manière de J. Matton au sortir de ses études à New York, au propos très sombre, plein de souffle et d’une expressivité exacerbée – il n’est pas inutile de préciser qu’elle côtoyait le 2ème Trio op. 67 de Chostakovitch lors de sa création par le Trio Suyana ... Tout en assumant parfaitement cet opus, J. Matton sait aussi porter un regard critique sur lui, conscient de l’évolution de son style vers une manière «peut-être plus apaisée ». «Mais j’espère atteindre par cet apaisement une puissance encore supérieure, ajoute-t-il.»

Comme pour tous les compositeurs qui se prêtent au jeu du GPLC, les rencontres avec les lycéens se sont révélées extrêmement positives pour J. Matton. « La fraîcheur, la spontanéité et l’intelligence » de ses interlocuteurs ont séduit un musicien qui a fait preuve il vrai de beaucoup de naturel et de sincérité dans ses interventions. Le compositeur, être souvent solitaire, y a trouvé l’occasion de « structurer un discours » face à un jeune auditoire. Malgré le trac des premières fois, c’est d’abord « l’enrichissement intellectuel » qu’il retient de ce dialogue.

© julesmatton.fr

Le compositeur qui, on ne l’oublie pas, avait reçu le Prix du Public au Concours Île-de-Créations de l’Orchestre national d’Île-de-France en 2017, ne manque pas de projets en ce moment. J. Matton sera le compositeur invité du prochain Festival d’Auvers-sur-Oise et, dans le prolongement de celui-ci, le 6 octobre à Auvers, la Chapelle Harmonique de Valentin Tournet, créera un diptyque pour sept chanteurs destiné à s’insérer dans les Larmes de Saint-Pierre de Roland de Lassus. « J’ai éprouvé un immense bonheur à écrire cette pièce et je me sens de plus en plus attiré par la musique vocale, avoue son auteur. »
 
Autre talentueux interprète de la jeune génération proche du compositeur, Justin Taylor donnera la première audition de son Concerto pour clavecin au Théâtre impérial de Compiègne le 23 mai prochain, avec l’Orchestre de Picardie dirigé par Jonathan Berman. Un Théâtre impérial où il s’est fait applaudir l’an dernier avec L’Odyssée, partition lyrique inspirée d’Homère pour trois voix, chœur d’enfants et quatuor à cordes.
L’opéra s’inscrit d’ailleurs aussi dans ses projets à plus long terme. Avec l’écrivain Anton Ljuvjine, J. Matton réfléchit à un ouvrage qui aura pour source d’inspiration ... les attentats du 13 novembre 2015. Une entreprise qui promet de ne pas laisser indifférent.
 
Alain Cochard
(Entretien avec Jules Matton réalisé le 2 avril 2019)

(1) « Livre 1 », un album interprété par Jeanne Crousaud, Yan Levionnois, Guillaume Vincent, Fleur Grüneissen, Pierre Génisson, Rémy David Yulzari et le Quatuor Debussy  (1 CD Fondamenta / FON 1802031)
 
Site du Grand Prix Lycéen des Compositeurs : www.gplc.musiquenouvelleenliberte.org/edition/2019/
 
Site de Jules Matton : www.julesmatton.fr/
 
Photo © julesmatton.fr
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