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June Anderson en récital au Châtelet – Un chant souverain - Compte-rendu

Les apparitions de June Anderson sont devenues trop rares pour être manquées. Fidèle à Paris depuis bientôt trente ans, où elle a chanté une grande partie de son répertoire, le Châtelet reste aujourd'hui sa salle fétiche : elle ne s'y était pourtant jamais produite en récital. Celui qu'elle vient de donner était magnifique. Toujours un peu distante, comme si une présence étrangère venait de la surprendre, la cantatrice américaine demeure vocalement souveraine. Le timbre malgré le temps reste intact et reconnaissable, la ligne de chant est stable, les attaques sont franches, le grave est plus homogène et si l'aigu n'a plus l’extension d'autrefois, le volume impressionne.

Souvent taxée de frilosité ou de réserve, Anderson s'est tout d'abord illustrée avec justesse et une diction soignée dans quatre mélodies de Fauré, montrant une belle sensibilité dans « Les berceaux » sur un poème de Sully Prudhomme, pourtant mollement accompagné par Jeff Cohen. Les trois mélodies suivantes, signées Debussy, avaient du style, en particulier « Regret » sur des vers de Paul Bourget, nimbé de mystère. Place était donnée ensuite à Poulenc avec le périlleux « C » sur un texte uniquement rimé en « cé » d'Aragon évoquant l'exode de mai 40, suivi par une Dame de Monte Carlo légèrement fêlée, chantée sur le souffle avec ce qu'il faut de décalé pour faire délicatement swinguer le morceau.
 
Consacrée à de célèbres musicals, la seconde partie était encore supérieure. Après un remarquable « Dream with me » extrait du Peter Pan de Bernstein, June Anderson se montre subtile et touchante dans le magnifique « Losing my mind » extrait de Follies de Sondheim, puis met la salle dans sa poche avec l'étonnant tango-habanera « Youkali », chanson écrite sur un rythme chaloupé par Weill durant son séjour parisien d'après un morceau instrumental, avant de conclure avec Show Boat de Kern et le très équivoque « Can't help lovin' that man of mine », clamé haut et fort par Julie, la meneuse de revue du Cotton Blossom, bateau spectacle glissant sur le Mississipi.
 
Très applaudie après ces portraits de femmes joliment dessinés, la cantatrice et son accompagnateur sont revenus pour deux bis : le premier issu de The music man « Till there was you » chanté avec goût et parsemé d'aigus piani du meilleur effet, le second moins attendu et pour le moins réussi, « My man's gone now » de Porgy and Bess, baigné de larmes et de douleur contenue.
 
 
François Lesueur
 
Paris, Châtelet, 9 avril 2014

Photo © Jean-Luc Léon

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