Journal
Kassya de Delibes et Massenet au Festival Radio France Occitanie Montpellier – Dispensable redécouverte – Compte-rendu
Le 16 janvier 1891, presque huit ans après la création de Lakmé, Léo Délibes mourait, laissant inachevée un partition que Jules Massenet se chargea de terminer et de transformer (les dialogues parlés se sont mués en récitatifs) afin d’en permettre la création posthume à l’Opéra-Comique, le 24 mars 1893. C’est en ce lieu que la première aurait dû avoir lieu durant la saison 1887-1888 si l’incendie de la salle Favart n’en avait décidé autrement et donc à l’Opéra-Comique « exilé » au Châtelet (de 1887 à 1898) pendant la construction de la troisième salle Favart (de 1893 à 1898) que Kassya fut finalement donné, et plutôt fraîchement accueilli – on ne dépassa pas huit représentations ...
Inspiré de la nouvelle Frinko Balaban de Leopold Sacher-Masoch – rien du soufre de la Vénus à la fourrure dans Kassya, hélas ... – le livret est l’œuvre d’Henri Meilhac et Philippe Gille et conte l’histoire de la bohémienne Kassya qui, s’étant éprise de Cyrille, un paysan, le quitte finalement pour le Comte de Zévale. Par rancune, ce dernier enrôle de force Cyrille dans l’armée. A son retour deux ans plus tard, celui ci découvre l’oppression que l’aristocrate fait subir aux paysans et provoque leur révolte. Kassya tentera de reconquérir, en vain, le cœur de Cyrille, qui lui préfère Sonia, une amie d’enfance. Kassya finit par se donner la mort et lâche un ultime « Cyrille » en expirant.
© Luc Jennepin
Fallait-il vraiment ressortir Kassya des tiroirs ? On se pose vraiment la question au terme des Actes I et II qui forment une première partie de soirée d’un assez copieux ennui. Les interprètes, très engagés, ne sont pas en cause, mais quelques passages charmants ou la magnifique scène de voyance de la Bohémienne (formidablement chantée et vécue par Nora Gubisch !) à la fin du I ne suffisent à dissiper un global sentiment de platitude. Quant au duo de Kassya et Cyrille « Travailler à deux/ Double le courage », on a du mal à croire que pareille nunucherie soit sortie de la plume de Delibes.
Michael Schønwandt, Cyrille Dubois (Cyrille), Véronique Gens (Kassya) © Luc Jennepin
Plus marqués par l’intervention de Massenet sur le plan de l’orchestration, les Actes III et IV, sans que l’on puisse se dire transporté, s'avèrent plus attrayants ; la musique, la palette de couleurs se mettant au service d’un action un brin plus prenante, plus ferme et d’atmosphères plus caractérisées. Alors que l’on plongeait dans le chœur introductif du I après à peine quelques mesures d’orchestre, un long et assez beau prélude précède, au commencement de l’hivernal Acte III, un Chœur des frileuses. On remarque par ailleurs le séduisant « récit et air de l’hirondelle » de Sonia et les différentes occasions offertes à Cyrille pour exprimer son désir de vengeance. Plus de caractère au IV aussi, avec la Polonaise introductive des Seigneurs et Dames (Jouons, chantons jusqu’à l’aurore), la Dumka de Kassya (Quel est au fond du cœur/Ce tourment plein de charmes) ou encore la tonique musique de ballet que la merveilleuse Dorota Andersewska, violon supersoliste de l’Orchestre national Montpellier Occitanie, illumine d’un solo d’une rare poésie.
Cyrille Dubois (Cyrille) et Anne-Catherine Gillet (Sonia) © Luc Jennepin
En Kassya, Véronique Gens possède par nature trop de noblesse pour que l’on croie pleinement à une bohémienne devenue comtesse, mais sa prestation n’en demeure pas mois remarquable de style et d’engagement – reste que, elle n’y peut rien, ni les librettistes, ni les musiciens n’ont su faire du rôle-titre un personnage attachant. Style et engagement, les termes valent aussi pour Cyrille Dubois dont le Cyrille emporte l’adhésion par l’ardeur juvénile et la justesse de l'incarnation
Anne-Catherine Gillet, Sonia idéale, se distingue par son naturel, sa fraîcheur, sa luminosité. Beau succès à l’applaudimètre pour Nora Gubisch qui, d’une scène très brève, a su tirer tout le potentiel dramatique. Bien qu’il cherche un peu ses marques en première partie de soirée, Alexandre Duhamel (le Comte) se révèle parfait en aristocrate et méchant homme. Quant aux seconds rôles, chaque chanteur colle idéalement à son emploi : Renaud Delaigue (Kostka), Jean-Gabriel Saint-Martin (Kolenati), Rémy Mathieu (Mochkou), Anas Seguin (un sergent recruteur), Luc Bertin-Hugault (Un Buveur, Un Veillard, 1er Seigneur).
Michael Schøwandt © Luc Jennepin
A la tête d’un Orchestre national de Montpellier Occitanie en pleine forme, Michael Schønwandt conduit Kassya avec autant d’énergie que de sens des timbres, tandis que le Chœur de l’Opéra Montpellier Occitanie et celui de la Radio Lettone réunis, bien que formant un effectif surdimensionné, se montrent à la hauteur de l’enjeu.
Ressusciter des partitions lyriques ouliées ? Oui, mille fois oui !; à condition de déterminer des priorités. Kassya – dispensable redécouverte à notre sens – n’en était pas une et des interprètes du niveau de ceux rassemblés pour l’ouvrage de Delibes et Massenet auraient été plus utilement utilisés, mis au service d’une rareté signée Camille Saint-Saëns, Benjamin Godard ou Augusta Holmès par exemple.
Alain Cochard
Delibes/Massenet : Kassya (version de concert) – Montpellier, Le Corum, Opéra Berlioz, 21 juillet 2018.
© Luc Jennepin
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