Le Concours Reine Elisabeth est connu pour l’attention qu’il porte à ses lauréats et aux efforts qu’il déploie afin de les faire mieux connaître. Ainsi la capitale chinoise vient-elle d’accueillir la violoniste coréenne Hyun-Su Shin et le baryton Konstantin Shushakov (né en 1984), l’un des lauréats du Concours 2011, dans le cadre d’une mini-série organisée par la compétition belge. Il y a deux ans, le jeune Russe avait parfois été décrit comme plein de promesses mais encore un peu réservé. Dar tiempo al tiempo… A l’évidence, il a considérablement mûri depuis lors - sa participation à l’Académie Mozart du dernier Festival d’Aix n’y est certainement pas pour rien …

Sur la scène du Beijing Concert Hall, une salle située à proximité du National Center for Performing Arts (l’Opéra de Pékin si l’on préfère ; éblouissante prouesse architecturale signée Paul Andreu), Shushakov a pour partenaire – complice et attentive - une jeune pianiste issue du Conservatoire Central de Pékin (classe du Pr Wu), LI Shuman, dans un programme éclectique qui donne la mesure d’une personnalité très complète, à son aise dans la mélodie comme dans l’opéra. Intelligemment composé, le programme mène de l’une à l’autre et de la langue russe à l’italienne.

Avec les sombres Chants et Danses de la Mort de Moussorgsky, Shushakov montre sa capacité à saisir les caractères sans les forcer. Voix à la fois bien timbrée et claire, intonation irréprochable, amour des mots, absence de toute emphase ; on n’apprécie pas moins son sens poétique dans quatre mélodies de Rachmaninov de grande tenue - mention spéciale pour Le silence de la nuit et Eaux printanières !

Fort d’une expérience déjà très solide de la scène (le baryton appartient à la troupe du Bolchoï), il aborde ensuite Tchaïkovski avec l’air de Yeletsky et celui d’Onéguine et, là encore, il est dans son jardin. D’emblée les personnages sont parfaitement dessinés ; la sveltesse de la phrase, la noblesse de ton donnent un goût de trop peu à ces deux extraits... Avec Mozart, le sens du théâtre et la présence scénique du baryton s’affirment plus encore. « Hai gia vinta la causa » : en un clin d’œil, le chanteur se glisse littéralement dans la peau du Comte, avec un sens du style et un italien remarquables. On ne résiste pas plus au « Fin ch’han dal vino » du dissoluto. Konstantin Shushakov s’impose comme un mozartien de premier ordre ; pas étonnant que La Scala fasse appel à lui dans le Cosi fan tutte que Daniel Barenboim dirigera en toute fin de saison (1).

Suivent l’aria de Frank « Questo amor » (Edgar de Puccini), d’une frémissante sensibilité, et, cerise sur le gâteau, le « Or dove fuggo io mai » de Riccardo (I Puritani) qui souligne une dernière fois la profonde élégance de l’interprète et l’homogénéité parfaite de son instrument. Une vraie révélation ; un artiste complet, avec lequel l’avenir devra compter. Pas étonnant que Konstantin Shushakov figure dans la liste des lauréats HSBC 2013.

Alain Cochard

(1) K. Shushakov y incarnera Guglielmo les 5, 11 et 16 juillet 2014 / www.teatroallascala.org

Pékin, Beijing Concert Hall, 8 décembre 2013.